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On en parle depuis des mois. On l'attend depuis des mois. Notre Potiche et sa grande actrice. L'impatience était tellement monumentale qu'on en arrivait presque à craindre la déception. Mais c'est mal connaître Ozon et son actrice. Tous les deux, entourés d'une équipe magique, ont réalisé un petit bijoux de féminisme et de cinéma.

 

Potiche1Dans la France de 1977, il ne fait pas bon être une femme. Bourgeoise, fille de, secrétaire, ouvrière, peu importe d'où tu viens mon enfant, la société te le dis du tac-au-tac : tu seras avant tout « potiche » ma fille ! Mais c'est quoi une « potiche » ? Une « potiche » mon enfant c'est « une personne qui a un rôle de représentation, sans pouvoir réel » pour résumer un « sois-belle et tais-toi » au quotidien. Ce « sois-belle et tais-toi » est le quotidien de Suzanne Pujol (Catherine Deneuve). Profil parfait de la bourgeoise faussement parfaite, Suzanne est l’épouse un brin popote, beaucoup soumise d’un riche industriel de droite (est-il nécessaire de le préciser ?) nommé Robert Pujol (Fabrice Luchini). Quand le mari ne couche pas avec sa secrétaire (Karine Viard) et ne fréquente pas les bordels de province, il dirige l'usine familiale de parapluies d’une main de fer. Aussi désagréable et despote avec ses ouvriers qu’avec ses enfants et sa femme, ce Pujol mérite bien une petite leçon, un avant-goût de ce que sera le futur : la potiche prendra le pouvoir camarade ! À la suite d’une grève et d’une séquestration de son mari, Suzanne Pujol se retrouve à la direction de l’usine et se révèle à la surprise générale une femme de tête et d’action... dont le passé est loin d'être parfait !

 

La Potiche de François Ozon est librement adaptée d’une pièce de 1980 de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy. À l'époque, la potiche était interprété par la reine des planches : Jacqueline Maillan. Trente ans plus tard, la potiche est incarnée par la reine du grand écran. Reine du cinéma français depuis les années 60. Depuis ses rôles d'amoureuse froide dans des Truffaut mémorables ou amoureuse naïve chez des Demy inoubliables. Si Potiche est un pur moment de cinéma c'est bien évidemment parce qu'il porte à l'écran, un visage tant aimé et tant désiré de tant de cinéastes au cours des décennies passées. Oui, la Deneuve est unique. Lorsque l'on voit débarquer au loin sa silhouette mythique dans la fraîcheur matinale de Sainte-Gudule, vêtue d'un jogging rouge et de ce sourire béa devant les petits animaux de la forêt, on se dit qu'il n'y a qu'elle pour nous faire sourire d'emblée ainsi, aussi bêtement. Avec elle surgit une montagne de souvenirs, toute la cinéphilie française dépouillée de ses épuisantes batailles entre cinéma d'auteur et cinéma populaire. La Deneuve est tout ça à la fois, élitiste et populaire, capable par son jeu inégalable de vous faire aimer en un rien de temps ce qui se joue sous vos yeux.

 

Potiche3

 

Ce qui se joue sous vos yeux justement, n'est autre qu'une tragique réalité, qu'Ozon va métamorphoser en objet d'un autre temps, en une petite gourmandise bariolée capable de vous refiler de bonnes idées pour affronter le machisme suprême et ordinaire. Ozon ose tout, et c'est parce qu'il ose tout, qu'on y croit dur comme fer, qu'on s'en réjouit en un simple instant. La Deneuve en joggeuse du dimanche ou en boniche du quotidien dansant sur du Michèle Torr : tordant ! Notre Gégé national, en coco pur et dur, posant aux côtés de Marchais : touchant ! Luchini lisant Le Figaro et pratiquant les « Cass' toi pauvre con ! » : jubilatoire ! Avec Potiche, Ozon nous rappelle qu'il n'est pas seulement cinéaste de films dramatiques parfaitement orchestrés (Le Refuge, Le Temps qui reste). Il excelle aussi dans les kitcheries jubilatoires aussi délicieuses que ravissantes. Ainsi Potiche n'est pas loin de 8 Femmes, dans cette perfection affirmée des décors aux dialogues. Scrupuleusement attaché aux détails, Ozon les parsème ici et là pour offrir à sa comédie une dimension ludique et un regard piquant sur notre époque. Car entre 1977 à Sainte-Gudule et 2010 dans notre chère province, il n'y a pas une bien grande différence.

 

Comme dans la France d'aujourd'hui, la révolte gronde en cette année 1977 à Sainte-Gudule. Un soir, ce cher patron Pujol est séquestré par ses ouvriers. Madame Pujol et ses enfants prisonniers dans leur tour d'ivoire ne sont pas sans rappeler Marie-Antoinette et les siens. L'Histoire de France et ses révoltes se répètent. Sauf qu'ici, Madame va prendre son histoire en main, comme peu de femmes n'ont osé le faire. « Maman tu vas dans le sens de l'Histoire ! » lâche le fiston, bien éloigné des idéaux de son cher papa (qui en réalité n'est pas le fils de son méchant papa patron, mais bel et bien le fils de sa maman bourgeoise nymphomane ! ) . Quand Madame prend le pouvoir de l'usine  familiale de parapluies, sous prétexte que Monsieur a besoin de repos, ils sont peu nombreux à la soutenir et pour cause, aux yeux de tous Suzanne Pujol est la maman, une potiche parmi d'autres. Outre son fils, elle sera d'emblée soutenue par le maire communiste Maurice Babin (Gérad Depardieu), ancien amour de jeunesse. L'action d'Ozon ne connait pas de faiblesses, elle rayonne, ne trouve que de multiples rebondissements subtils et des répliques astucieuses pour nous faire aimer ce récit aux allures de comédie de boulevard. Hélas, la comédie cache la tragique vérité d'une époque : « Je n'ai pas à m'excuser d'être une femme » lâchera notre potiche à ceux qui se ligueront contre elle. Hélas si, elle devra s'excuser d'être l'épouse d'un horrible patron auprès des ouvriers, de s'habiller de manière très bourgeoise pour eux lors de leur première rencontre, d'avoir été une « bourgeoise nymphomane » auprès de son amour de jeunesse et d'avoir été une mère aimante et dévouée auprès de ses enfants. Observer tous ces reproches divers et variés faits à cette pauvre femme « comblée pour ce qui est de l'éléctro-ménager », bouscule nos petits esprits étriquées pour nous faire réaliser que ce qu'on demande à cette femme taxée de potiche, jamais, au grand jamais l'aurait-on demandé à un homme.

 

Potiche2

 

Aussi Potiche agit comme une jolie et amusante libération, la vengeance d'une blonde face au petit monde qui l'a taxé jadis de potiche. Ozon n'a pas fait de Potiche un film profondément féministe, mais plutôt un film élogieux sur la femme qui supporte et endure des situations inacceptables au quotidien. Il va même plus loin en explorant les méandres de ce « féminin » qui combat sa soumission abusive en transformant sa « potiche » en femme politique. Une femme politique qui sert les mains des agriculteurs, vante les mérites du fromage de sa région et insiste bien sur l'importance de la « Fra-Ter-Nité », cela vous dit-il quelque chose ? Potiche n'est pas seulement le portrait d'une femme des années 70 ou le portrait d'une famille sous la France de Giscard, c'est aussi l'histoire des mutations sociales qui ont surgit à la fin des années 70, où s’affrontent l’émergence de deux pensées : une ultralibérale (menée tambour battant par Monsieur Pujol et sa fille sosie de Farrah Fawcett) et l'autre basée sur une politique sociale et progressiste (menée par la Madame Pujol et son fils, passionné d'art et d'idées gauchistes). Et même si c'est la seconde pensée qui triomphera dans un final surréaliste, où Catherine Deneuve en ultra-femme politique gagnera les élections de sa commune en lançant un convaincant mais effrayant « Vous êtes tous mes enfants  !» devant une foule en délire, on sait bien que c'est la première pensée qui a gagné dans notre triste réalité. Mais peu importe, le spectacle se boucle de façon lumineuse. Dépouillé de toute sa politique et de ses conflits traditionnelles, Ozon termine son récit sur une note nostalgique et cinéphile : Suzanne Pujol déambulant parmi ses électeurs en chantant la magique chanson de Jean Ferrat « C'est beau la vie ».

 

Cette chanson, Deneuve la chante à ses électeurs dans le film, aux spectateurs dans la salle, aux cinéphiles amoureux, aux réalisateurs qu'elle a tant aimé et surtout à Depardieu. Car la bourgeoise nymphomane et le coco, qui met sur le même plan Che Guevara et Georges Marchais, se sont aimés passionnément dans une autre vie, dans un autre film, devant une autre caméra, pour un autre réalisateur et pour une autre époque. La Deneuve et le Gégé ont tourné six autres films ensemble, ont échangé de nombreux baisers, douleurs, disputes et désirs. Aussi revoir la « Belle » et la « Bête » s'aimer une nouvelle fois par la caméra d'un grand cinéaste déclenchera à coup sûr, une petite émotion, une nostalgie heureuse, une larme de joie. Couple atemporel, capable de transmettre le désir, la passion à travers la caméra de Truffaut comme de Ozon, Deneuve et Depardieu partagent encore une fois « jeunesse », « idées », « amour retrouvé » et comme dans la chanson de Ferrat, leurs visages légendaires mêlés l'un à l'autre semblent nous confirmer que « Oui, c'est beau la vie ».

 

 

Bande-annonce Potiche

Tag(s) : #Cinéma
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