Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dans la ville de Genève, Jill, une jeune fille modèle, vit sagement avec sa mère. Un beau jour, la belle décide de quitter son cocon familial pour accompagner son petit ami à Paris. Dans la capitale, éprise de liberté et de réussite, Jill la danseuse deviendra mannequin, pour terminer trois ans plus tard en star de cinéma.

 

« Entre ce visage et la caméra un lien magique se produit » lance la voix-off. Ce visage c'est celui de Brigitte Bardot, star des sixties née sous la caméra de Roger Vadim dans Et Dieu créa la femme. La caméra c'est celle de Louis Malle réalisateur de ce Vie Privée, psychodrame fictionnel aux frontières de la réalité. Le lien magique c'est celui du regard déstabilisant de Bardot chez Louis Malle comme chez Vadim ou Godard. Un regard surligné au khôl, des courbes avantageuses, un air de femme fatale et l'instant d'après celui d'une enfant teigneuse, telle était la beauté de Brigitte Bardot en ce temps-là. Nous sommes en 1962, l'actrice est la femme la plus désirée de France. La plus détestée aussi.

 

ViePrivée

Après le scandaleux Les Amants, l'inventif Ascenseur pour l'échafaud et l'impertinente Zazie dans le métro, Louis Malle s'empare du mythe Bardot pour en faire un film vérité sur la vie d'une star harcelée par la presse. Les ressemblances avec la réalité crèvent l'écran et s'enchainent à une vitesse folle : Jill, issue d'un milieu aisé, débute par des études de danse classique puis se retrouve à faire des photographies pour les magazines pour terminer enfin star de cinéma. N'importe quelle biographie de Brigitte Bardot livrera un parcours identique. Ce parcours, qui subjugue Louis Malle, aide le spectateur à se passionner pour le mythe Bardot à défaut de se passionner pour le film en lui-même.

 

Brigitte Bardot, au summum de son art, vole ici la vedette au sujet même du film : l'impossibilité pour une star de vivre une vie privée normale. Aussi le spectateur fasciné par le jeu de Bardot, qui joue avec les hommes aussi bien qu'avec les réalisateurs, en oublie de voir l'histoire assez médiocre, il faut le dire, de Jill, épiée par les paparazzis et éperdument amoureuse d'un metteur en scène de théâtre interprété par Marcello Mastroianni. Si la reine incontestée de l'écran, chez Louis Malle, n'avait pas pour nom Brigitte Bardot peut-être aurait t-il été capable de nous captiver sans remord. Peut-être n'aurions  nous pas trouvé des comparaisons à faire entre l'histoire d'amour de Jill et un quelconque déplorable roman de gare dont les répliques volent aussi haut que ceux de Nous Deux.

 

Pourtant si Louis Malle finit par convaincre avec cette histoire de vie privée livrée aux yeux du monde entier par les flash omniprésents des paparazzis c'est grâce à la proie même de ces types que rien n'arrêtent. Avec Vie Privée c'est toute la vie privée de BB qui vole en éclat et s'éclaire au grand jour sous la caméra de Louis Malle. Le réalisateur n'a rien inventé. La preuve étant avec la scène interminable de l'ascenseur, que l'on suppose insurmontable pour la star. Une scène que Bardot a réellement vécu. En rentrant chez elle, dans son ascenseur, la star se fait insulter par la concierge de l'immeuble qui l'a reconnue : « Qu'est-ce que vous êtes donc, hein? Une chienne? Oui, voilà, une garce sans respect ni pudeur. Un jour les braves gens vous feront la peau et personne ne s'en plaindra. ». C'est à partir de cette scène-là que tout bascule pour Jill-Bardot. Tout le monde raffole de la belle dans les années 60, tout le monde la méprise aussi comme si la beauté avait ses limites et ses envieux, comme si la femme n'était pas libre de ses faits et gestes, libre d'avoir 1 ou 5 amants. Les unes s'enchainent et les mots blessent : odieuse, perverse, péché... Louis Malle dresse un tableau complet de la célébrité prisonnière du monde dans lequel on l'enferme de force et à double tour. Dans une scène incroyable, Louis Malle filme en plongée, l'arrivée de Jill dans une avant-première. Prise au piège de la foule et des paparazzis, elle hurle son désarroi, sa folie, sa souffrance. On ne la voit plus, on entend juste la force de ces cris et perçoit sa crinière blonde mythique. À grands coups de scènes à haute tension, Louis Malle dénonce la cruauté de ce monde-là à l'égard de la célébrité. Un monde qui la veut autant qu'il la rejette, qui l'adule autant qu'il la délaisse dans un état d'extrême solitude. Et qui jamais ne tente de comprendre qui elle est réellement.

 

vieprivee

 

La soif démesurée de liberté de Jill-Bardot la contraindra à un enfermement progressif sur elle-même. Enfermement joué à la perfection par Bardot, qui comme souvent ne joue plus, mais vit réellement son rôle. Ce regard si profond, surligné au khôl, regard si abimé ne sortira pas indemne face à la cruauté de ce monde et de la presse à sensation. Dès le départ, son arrêt de mort est signé. Parce qu'elle a « le diable au corps », parce qu'elle porte en elle ce tiraillement perpétuel entre la femme fatale et l'enfant sauvage, Jill-Bardot n'échappera pas au destin.

 

Alors que son compagnon, au visage de séducteur moderne, prépare la mise en scène de sa pièce à Spolète en Italie, Jill vit recluse à quelques mètres de là sur ses conseils : « Il faut se protéger. Ne pas se prêter au jeu » lui dit-il. Le lieu a des allures de théâtre antique, lieu parfait pour mettre fin à la tragédie. Mise en abîme absolu du psychodrame monté de toutes pièces par Louis Malle. Dans un final à la beauté tragique, lors de la première de la pièce, dans la pénombre, Jill s'échappe de sa chambre, grimpe sur les toits pour être aux premières loges de la tragédie mise en scène par son homme. L'étoile du cinéma volera la vedette à la pièce de théâtre : aveuglée par le flash d'un paparazzi, Jill tombe du toit en pleine représentation. À cet instant, ce n'est pas la réaction des spectateurs, de l'homme qu'elle aime ou des paparazzis qui compte, c'est elle. Elle seule. Elle, dont la beauté perdure même dans la mort. Dans cette mort majestueuse, filmée au ralenti sur le son du « Requiem » de Verdi, Louis Malle offre la délivrance à son héroïne. L'étoile file, délivrée de ses tourments, libéré de sa célébrité étouffante. Elle file et pourtant elle reste dans les mémoires à jamais.

 

 

 

Tag(s) : #Cinéma
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :