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amour-jean-louis-trintignant.jpgAvant que ce film commence, je me suis demandée ce qui pouvait bien pousser tous ces gens à venir s'enfermer dans une salle de cinéma parisien un samedi beau comme celui-ci. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond dans la vie de tous ces gens et dans la mienne pour avoir envie de se faire violence en suivant le parcours vers la mort d'un homme et d'une femme de cinéma, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva ? Le tout filmé par Michael Haneke, cinéaste ayant un goût affirmé pour les existences brisées. Toutes les existences donc.

 

Car tôt ou tard cette ingrate se brise. C'est le sujet même d'Amour, Palme d'Or du dernier festival de Cannes comme le souligne ce générique aux lettres froides, sans musique, dépouillé de tout effet comme le cinéma d'Haneke. Ici, musique, larmes, effets de caméra n'ont pas leur place. Il faudra se faire à leur absence, comme on doit se faire à la vue du corps malade d'Emmanuelle Riva et aux gestes maladroits de Trintignant tentant en vain de lui rendre la vie moins pénible par amour. Cinéphiles et néophytes, vous n'êtes guère plus habitués à ce cinéma-là, où l'on ne vous parle qu'avec des plans fixes, dans un unique endroit avec des personnages ayant tristement passés la date de péremption à nos yeux d'ingrats, nous qui deviendrons tôt ou tard ces êtres là. Des êtres sur le départ.

 

Anne et Georges ont passé plusieurs décennies ensemble, dans ce bel appartement haussmanien tapissé de livres et de souvenirs d'un passé révolu. Ils sont octogénaires. Ils sont ceux que sont nos grand-parents, ceux que nos parents et nous, tôt ou tard, seront. Soudain, une série d'accidents vasculaires vient frapper la frêle et touchante Anne, ancienne prof de piano. La vie décline pour l'un, pour les deux mais jamais pour l'amour. Celui-ci résiste à la destinée de toute existence.

 

amour-emmanuelle-rivaSur le papier, la scénario d'Haneke a de quoi faire fuir tout spectateur normalement conçu. Peut-être que si je n'étais pas aussi bien élevé et si je n'avais pas tant aimé entendre la voix de Trintingnant, j'aurai eu ce geste que je méprise : fuir la salle obscure pour d'obscures raisons qui n'auraient, au fond, rien à voir avec la cinéphilie. L'amour est un sentiment bien étrange qui, transfiguré au cinéma d'Haneke dans son plus simple apparat, procure un bien étrange sentiment. Je nommerai cela la « décidophobie ». Ne pas savoir si on a aimé ou pas, si on a été captivé ou non. Ne pas savoir si on éprouve de la colère à voir la mort filmée de si près de manière si naturaliste ou alors être capable de se faire violence de se dire qu'enfin un cinéaste ose filmer « la fin de vie ». Ne pas oser dire qu'une partie de moi perçoit ce film comme un moment insoutenable, impudique, paradoxalement sans amour pour cet être atteint par la mort que l'on voit successivement se faire changer, doucher, aider comme on aiderait à survivre un nouveau-né. Qu'une autre partie de moi, la moins terrorisée, admiratrice de ceux qui acceptent, accepte ce propos beau comme l'amour, comme le cinéma et la voix de Trintignant. Accepte cette mise en scène à contre-temps de l'air du temps. Le héros est un grand-père de 80 ans fou amoureux de sa belle qui bientôt le quittera à jamais. La mélodie de ce film est pure sans pathos, ni espoir, ce qui ne la rend que plus belle et crédible. Belle à l'image de ces instants que Haneke arrache à la réalité : Trintignant tranquillement assis dans son fauteuil écoutant et regardant la femme qu'il aime jouer du piano alors qu'elle meurt à petit feu de l'autre côté du mur.

 

La déchéance, la douleur, la fin promise nous guette. On pourrait s'en épargner jusqu'à leur heure d'arrivée mais Amour s'y refuse, réclame une lucidité clinique, une honnêteté presque morbide vis-à-vis de ce qui guette dans l'ombre de nos vies. « Rien de tout ça ne mérite d'être montré » se justifie Georges (Trintignant) auprès de sa fille (Isabelle Huppert) hystérique, sentimentale et inquiète. La seule qui pleure dans cet appartement. La seule qui nous poussera à la larme. La seule à ne pas avoir compris et accepté le néant.

 

Amour de Michel Haneke

Tag(s) : #Cinéma
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