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« Un quartier d'irréductibles ouvriers résiste depuis toujours à l'envahisseur capitaliste » tel aurait pu être le début de la petite fable marseillaise contée par la caméra militante de Robert Guédiguian en 1997. Marius et Jeannette, jolie succès de cette fin décennie, éblouissait cette année-là le cinéma français et les consciences des spectateurs par la même occasion. Romance populaire teintée de militantisme et d'accent marseillais, l'histoire était celle de milliers de gens, de milliers ouvriers. De ceux qui habitent L'Estaque, à Marseille, comme ceux de n'importe quel quartier ouvrier de France. Une histoire de rigueur budgétaire, de chômage et de jobs sans avenir, de gamins à élever et d'espoir à garder. L'histoire contée ici est celle de Jeannette qui élève seule ses deux enfants avec son maigre salaire de caissière. Jeannette habite le quartier de L'Estaque, une minuscule maison ouverte sur une courette, entourée par des voisins qui l'encouragent avec force, éclats de rire et coups de gueule. Un jour, Jeannette escalade le mur d'une cimenterie désaffectée dans l'intention de voler des pots de peinture pour refaire sa maison. Marius, vigile taciturne, l'en empêche mais c'est mal connaître la gouaille de Jeannette qui à la réplique facile : « Je suis pas la fille de Jean Valjean, tu veux pas mes papiers aussi? Fasciste! Tu es un ouvrier comme moi! ». « Ouvrier » tel sera le maitre mot de cette œuvre au réalisme social poignant et à l'optimisme émouvant. Le lendemain de l'amusante altercation, Marius viendra déposer les pots de peinture chez Jeannette par acte de solidarité ou de gentillesse, acte propre au monde ouvrier.

 

154 g Marius jeannette

Le cinéma de Robert Guédiguian est un hymne d'amour au monde ouvrier. Amoureux des petites gens et de leurs petites misères, le cinéaste joue une gamme parfaite sur son monde à lui que certains regardent parfois si mal du haut de leur caméra. Conte solaire aux doux chants des cigales, Marius et Jeannette sent bon le cinéma d'autrefois. Ariane Ascaride (Jeannette) a la gouaille d'une Arletty marseillaise et Gérard Meylan (Marius) le charme des faux-durs à la Gabin des années d'avant-guerre. Populaire et engagé, le cinéma de Guédiguian reprend le fil de conduite d'un grand cinéma français des origines, celui des Becker et Duvivier, celui où il ne fallait pas s'apitoyer sur le monde ouvrier, mais le réenchanter, l'inviter à se mettre debout et point levé. Dans l'amour que fait naitre la caméra entre Marius et sa Jeannette, il y a cette frêle et précieuse espérance. L'espoir d'un amour préfigurant l'idéal d'un monde meilleur.

 

Le bonheur est sans cesse à reconquérir du côté de L'Estaque et l'amour sera à l'origine même de ses attendrissantes retrouvailles entre deux êtres que la vie n'a pas épargné et ce bonheur si simple à portée de main. Des amours modestes et sincères verront le jour dans les cours de L'Estaque sous l'œil réaliste de Guédiguian. Les sentiments sont filmés avec pudeur tandis que les injustices et leçons de morale du quotidien sont captés avec grands coups d'éclat. Des coups d'éclats dont bien souvent Jeannette est à l'origine. Dans une scène que Guédiguian veut tordante et qui se veut en réalité tragique Jeannette rêvasse à sa caisse et se fait rappeler à l'ordre par son chef qu'elle traite de « tortionnaire ». Une fois dans le bureau de celui-ci, elle s'empare du micro et hurle : « Allez-y camarades consommez, enchainez-vous! ». Sa voix résonne alors aux caisses où les citoyens se transforment en consommateurs médusés. Tout l'art de Guédiguian se résume en ces scènes surréalistes qu'il manie avec force pour faire éclater l'opinion phare de son cinéma dans la bouche d'un modeste citoyen. « Ah si tout le monde ouvrait sa gueule » pense t-on alors face au charme naturelle de Jeannette! Elle est une héroïne du quotidien, celle qui se font si rare au cinéma, pas assez vendeuse certainement et trop grande gueule sûrement pour séduire l'œil. Heureusement, la mère célibataire, caissière exploitée et fervente militante de la cause ouvrière se contrefiche de l'opinion que les autres peuvent avoir d'elle. Guédiguian aime cette femme comme Marius l'aimera : pour son combat du quotidien et ses convictions. Ces convictions si rares aujourd'hui.

 

marius et jeannette 1996 reference

 

Il y a du bon vieux temps là-dessous, sous les peintures toutes craquelées de L'Estaque, sous ces chantiers en voie de disparition et sous ces petites gens qui lisent encore L'Humanité comme un ultime acte de résistance au temps qui passe et qui brise les rêves. Guédiguian s'enracine dans ce monde, ce décors si particulier, composé de chômage, de fins de mois difficiles, de grèves mais aussi de l'ombre impitoyable de Le Pen et des menaces d'intégrisme religieux. À L'Estaque, il caresse ses êtres cabossés de long en large, il les aime pleinement malgré leurs petits mensonges (Marius a du faire croire qu'il boitait pour apitoyer et obtenir son poste de gardien), leurs erreurs de bulletin de vote (Dédé le voisin sans cesse chahuté pour avoir voté une fois Le Pen), leurs obstinations (Caroline grand-mère fidèle à l'idéologie communiste). Il prend le temps de les écouter râler, picoler, discuter et s'aimer dans les modestes cours de L'Estaque où l'on vit ensemble pour mieux supporter la société du chacun pour soi. Parfois les disputes fuseront entre les uns et les autres, Caroline (Pascale Robert parfaite en mamie coco) sera toujours la première a dégainé, a expliqué la réalité que certains n'ont pas encore compris : tout est politique.

 

Grâce aux amours de Marius et Jeannette, Robert Guédiguian compose une œuvre majeure sur ces gens de l'ombre, de la France d'en bas. Il les filme à la bonne distance, avec du cœur et jamais de misérabilisme. Il les filme telle une belle histoire qu'on raconterait aux enfants avant de s'endormir pour qu'ils aient confiance en l'avenir, en un monde meilleur. Un début et une fin entre les murs pauvres de L'Estaque. Des murs où ce qui compte ce n'est pas vraiment les faits ou l'action, mais les gens, les vrais gens et leur humanité profonde et sincère. Celle qui fera avancer le monde.

 

Bande-annonce : Marius et Jeannette

Tag(s) : #Cinéma
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