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Sur toutes les étagères des cinéphiles, il y avait cette K7 vidéo. Une K7 intouchable que tous les enfants de cinéphiles ont voulu un jour chiper pour la regarder en douce la nuit tombée. Une nuit, la K7 a fatalement fini dans le magnétoscope, le son au plus bas évidemment. Dans le noir le plus complet, face à l'écran, l'enfant restait ébahi par deux marginaux, deux paumés aux élans insolents parfois même vulgaires. L'enfant ne comprenait pas tout. Cette femme aux seins nus et la façon de parler du type costaud aux cheveux longs notamment, mais il les observait captivé, hypnotisé, par la liberté de leurs frasques, de leurs tirades habités. C'était Les Valseuses. C'était du Blier. L'enfant est devenu grand. Il se déplacera toujours pour du Blier, pour celui qu'il ne cautionne pas toujours, mais qui pourtant ne l'empêche pas d'être attendri... et comment ne pas être attendri par le dernier Blier?

 

C’est l’histoire d’un homme qui reçoit la visite de son cancer. « Bonjour, lui dit le cancer, je suis votre cancer. Je me suis dit que ça serait peut-être pas mal de faire un petit peu connaissance… ». C'est surtout l'histoire d'un cinéma, d'un cinéma à la Bertrand Blier. Le Bruit des glaçons est le dernier acte de ce cinéma. Un cinéma que l'on croyait en manque de souffle. Mais comment retrouver son souffle après avoir souffler sur le cinéma français avec le jeu et les tirades génialissimes de notre Gégé national, Patrick Dewaere ou Miou-Miou? On peut se l'avouer aujourd'hui, on est entre nous, la confidence s'impose : il y a une certaine nostalgie à aller voir un Blier en salle. On y va en espérant retrouver un amour d'antan, une certain cinéma français, un vague soupçon d'irrévérence, de provoc' et de vérité. On s'y réfugie dans l'espoir d'une dernière valse pour voir valser conventions et politesse sous nos yeux. Nos yeux ébahis de spectateur.

 

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Ces yeux-là, on les retrouve dès la première seconde avec cette vision angoissante d'un homme de dos, qui marche d'un pas convaincu sur un chemin de campagne. L'homme sonne à une porte, débarque à l'improviste chez un pauvre type, et lui annonce à l'interphone : « Je suis votre cancer ». Bienvenue dans le meilleur des mondes, bienvenue chez Blier fils! Monde sans concession, surréaliste (parfois trop) mais irrésistible par la force de son dialogue. En une scène tout est dans la boîte : le recul sur les personnages toujours filmés de loin pour mieux donner l'impression de les suivre, de faire partie de leur histoire, les vrais gueules d'acteurs propices aux grimaces et aux douleurs, les dialogues de cinéma d'anthologie.

 

Regarder le cinéma de Blier fils équivaux à replonger dans le cinéma de Blier père et de ses grandes tirades et gueules de cinéma.On est en 2010 et Blier fait encore parler ses acteurs, qu'il aime tant, comme dans le cinéma de papa, le cinéma d'Audiard où les dialogues claquent les portes, frappent comme des coups et excellent sur l'image. « Je suis votre cancer. Je pense que ça serait bien qu'on fasse un peu connaissance » lâche le cancer incarné par Dupontel à l'écran à sa future victime Jean Dujardin alias Charles Faulque, célèbre écrivain qui ne se déplace jamais sans sa bouteille de vin blanc, et qui lui répond du tac-au-tac : « Ah oui mais moi je suis en train de boire un coup! ». Le pitch est lancé sur les chapeaux de roues : Blier parle de la mort, de l'insoutenable, il en fait sa matière nouvelle pour servir son grand art : rire de tout.

 

Pauvre de nous, pauvres mortels, nous rirons face à la mort chez Blier car il lui donne une consistance nouvelle. La mort en chair et en os, dans un costume ridicule. La mort à la sale gueule de sale con, la mort qui pour une fois au cinéma ne rode pas, mais vit à tous les plans. Elle est pot de colle cette mort qui jouit à voir triompher le mal, ce mal « qui revient toujours » comme le mentionne les yeux allumés de Dupontel. Maintenant qu'il a débarqué dans la vie de Charles Faulque, il ne le lâche plus. Le cancer diablotin et sa proie minable deviennent un duo, et le spectateur en oublie presque parfois le pouvoir surhumain que le cancer possède sur sa victime. Les scènes sont hilarantes de surréalisme : le duo picole ensemble et s'en donne à cœur joie. Le duo mange, dort, rit et baise ensemble et le spectateur n'y résiste pas. Férocement drôle, Le Bruit des glaçons livre quelques scènes irrésistibles d'acteurs, du formidable duo de ces deux acteurs (Dujardin/Dupontel), qui par instant voudraient être des Depardieu/Blanc et qui ne le seront, hélas, certainement jamais. Il faut les voir ces deux-là dans le même lit, avec le même caleçon, et leurs regards d'âmes perdues lorsque le cancer lance à sa victime : « Tu as une belle peau pour un mec qui va mourir »!

 

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Pur Blier en apparence, Le Bruit des glaçons sonne les retrouvailles entre le public et le réalisateur qui manie les dialogues comme personne. Provoc' permanente jouée à la surenchère par un cancer qui ose dire à son malade : « Vous voulez pas mourir? Pourtant vous avez une sacrée vie de merde quand même! », Le Bruit des glaçons, n'en est pas moins une œuvre où le goût du mauvais goût s'estompe pour laisser place au goût de la tendresse. Blier, qui frôle sans cesse avec sa caméra des êtres cabossés aux vies abimées, apprend ici à leur accorder de doux instants de tendresse. Lorsque l'écrivain contemple le départ de sa jeune conquête du moment, sa mémoire retrouve le chemin de ses souvenirs et les flash-backs naissent dans la noirceur de l'instant. Il revit le départ il y a quelques années de sa femme et de son fils, lasses tous deux de son alcoolisme, et le film prend un tout autre tournant. Dujardin brillant autant dans la comédie que le drame laisse ici quelques belles scènes grâce à ce que certains nommeront maturité ou sagesse.

 

Une sagesse née d'un amour, d'un beau personnage de femme, comme il en existe peu dans l'œuvre de Blier souvent taxée à tord de misogyne. Pas une emmerdeuse, une hystérique ou tout autres clichés sur le deuxième sexe comme il en existe autant dans l'œuvre de Blier que dans la triste réalité. Non, un beau personnage de femme capable de faire succomber ce « con, chiant, égoïste et mal terminé » d'écrivain. « Donner-moi le temps d'aimer cette femme » demande Charles Fauques et sa mort future dans un moment d'espoir total. Cette femme c'est Louisa (discrète et sensible Anna Alvaro). La bonne, la servante amoureuse et dévouée, aux antipodes du fantasme masculin. Louisa est le témoin de la déchéance de cette homme, de cet écrivain dont le seul bien est ce vin blanc trônant dans un pot à glaçons sans cesse à portée de main. La caméra de Blier se faufile avec élégance dans les pièces et couloirs de cette demeure sans vie, pour atterrir avec tendresse dans une chambre où ces deux êtres encore en vie se laissent aller au plaisir de la chair dans un ultime sursaut d'espoir, pour lutter contre ce cancer qui les dévore et vaincre la mort prochaine à deux. « Regardes les ces cons! Mais c'est qu'ils s'aiment! » s'exclame le cancer de Charles au cancer de Louisa, témoins tout d'eux d'une scène d'amour, scène surréaliste de quatre corps dans un lit où seul deux d'entre-eux sont en vie pour conjurer la mort.  

 

Le vieux cancre du cinéma français signe avec Le Bruit des glaçons, un nouveau pied de nez au cinéma français sans saveur à ses yeux. Un joli pied de nez également, surréaliste et parfois barré ,désigné à une mort qui condamne à chaque instant. Blier préférera une issue nouvelle pour lui et son cinéma. Celle de l'happy-end, maladroit certes ici, elle injectera cependant à son cinéma une touche d'espoir loin du nihilisme d'antan. Une pointe de tendresse de deux survivants, l'écrivain et sa servante, filant au loin sur la voix brisée de Nina Simone chantant du Brel. Du beau Blier!

 

 



Tag(s) : #Cinéma
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