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Après avoir parcouru les grandes villes de l'ouest avec ses filles du New Burlesque pour Tournée, Mathieu Amalric fait à nouveau escale à l'ouest. Cette fois-ci l'action se tourne en Vendée où il est l'invité d'honneur du Festival International du film de La Roche-sur-Yon. Fantaisiste touche-à-tout, artiste de devant et derrière la caméra, Mathieu Amalric se voit confier les clés du festival pour une rétrospective et une carte blanche composée d'instantanés de vie plutôt que de films de chevet. Connu pour être méchant chez James Bond et amoureux indécis chez Desplechin, le grand public n'a découvert le Mathieu Amalric réalisateur qu'il y a très peu de temps avec le vivifiant Tournée. Acteur par accident, il était temps de rétablir la vérité : Mathieu Amalric est un réalisateur dans l'âme, un passionné par la fabrication des histoires sur grand écran. 

 

Dimanche 15 octobre. La Roche-sur-Yon. Dans le hall du Manège, les discussions vont bon train sur l'invité d'honneur que tout le monde attend avec impatience. Il est là, de l'autre côté de la baie vitrée, entrain de fumer son énième clope, le regard légèrement fatigué, le cheveux en vrac et le sourire toujours aux lèvres. Le public observe faussement discrètement l'homme qu'il attend, qu'il a hâte d'entendre s'exprimer face à son interlocuteur François Bégaudeau. Certains sont venus voir l'acteur, d'autres le réalisateur ou tout simplement l'homme. Sur la scène du Manège, quelques minutes plus tard, tous comprendront que l'homme est bien plus réalisateur qu'acteur. Parce qu'avec une brève définition de ce mot magique « réalisateur », Mathieu Amalric expliquera tout son art, toute sa nécessité à être derrière la caméra pour faire ce cinéma qui « aide à vivre ».

 

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Mathieu Amalric : l'homme de spectacle

 

Lorsque Mathieu Amalric débarque sur la scène du Manège en compagnie du critique François Bégaudeau, c'est plus fort que nous : on ne voit que l'acteur. L'acteur de Desplechin inévitablement, le charmant petit vilain canard de la famille dans Un Conte de Noël ou le vulnérable et indécis amoureux de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle). Dès qu'Amalric s'exprime pour répondre aux questions intellectualisées de Bégaudeau, on reste stupéfait par l'incroyable mimétisme entre son jeu d'acteur et sa pensée de réalisateur. Brouillon mais captivant, mal-être certain mais rires jamais très loin, l'homme séduit, d'entrée de jeu, par son élégance gauche et sa sincérité désordonnée.

 

C'est avec une certaine sincérité teintée d'humour que Mathieu Amalric avoue, la rencontre à peine entamée, s'être couché un peu tard à cause « des filles » (les tonitruantes actrices de Tounée) en représentation la veille dans une salle parisienne. L'aventure Tournée tourne donc encore pour le plaisir des yeux et du cœur. L'aventure est tellement inoubliable qu'elle se répercute inévitablement sur la carte blanche offerte par le festival au cinéaste Mathieu Amalric. Une carte blanche « très axée sur les influences de Tournée » avec du Cassavetes ou du Bob Fosse. Quant à la rétrospective qui lui est consacrée, il aurait bien voulu y « échapper » confie t-il à ses interlocuteurs. « Les rétrospectives annoncent souvent la fin » dit-il à une salle hilare et conquise d'avance par cette tête ébouriffée qui cherche ses mots mais maîtrise parfaitement son art.

 

Le cinéma, son terrain de jeu

 

Son art c'est le cinéma. Ce cinéma sera le centre de la conversation entre Bégaudeau et lui, entre le public et lui. La discussion ne concernera pas l'art de faire l'acteur ou encore moins l'art de tourner avec des grands réalisateurs américains ou français. Non, elle sera organique, tour à tour manuelle et pensive sur l'art de penser et fabriquer un film. Alors que l'interlocuteur Bégaudeau intellectualise l'art de faire un film, Amalric, lui, rend au film sa matière première : l'émotion. « Les films naissent d'une nécessité très personnelle, l'envie de faire un film démarre de quelque chose de très étrange et la véritable question c'est : comment fait-on pour que cette envie très personnelle soit partagée? ».

 

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Partager des émotions : digne soucis de Mathieu Amalric le réalisateur. Soucis qui débute dès 1997 avec un premier long-métrage : Mange ta soupe. Extrait à l'appui, Mathieu Amalric explique à son auditoire l'idée de départ de ce film aux accents très autobiographiques : transformer une tragédie familiale en comédie. La tragédie initiale étant inévitablement issue d'une anecdote très personnelle : un jour, il réalise que sa mère (une critique littéraire) a remplacé son mari, dans le lit conjugal, par des tonnes de livres! Intrigué par cette simple anecdote, Mathieu Amalric fera un film pour comprendre cette anecdote, ce sentiment né d'un simple instant.

 

Ces instants qui nous échappent tous passionne Mathieu Amalric. Pour expliquer ces instants aux allures fugaces qui le captive : il sourit, parle avec les mains, ouvre grands les yeux face à un public fasciné par ce type à la maladresse touchante habité par cette formidable nécessité de filmer, de faire du cinéma, ce « cinéma qui aide à vivre » lâche t-il. Sous son flot de mots et de gestes, on saisit ce fabuleux potentiel fictionnel que possède certains instants de la vie. Des instants qu'Amalric le réalisateur exploite. Ça sent la totale improvisation du Stade de Wimbledon à Tournéeet pourtant c'est habilement pensé et travaillé. De la promenade poétique de Jeanne Balibar (Stade de Wimbledon) dans les rues de Trieste ou la séquence de drague irrésistible entre Amalric et une caissière dans une station-service (Tournée), le but et l'émotion sont identiques. Capter des instants de vie en apparence quelconques et qui pourtant dégagent ce semblable sentiment de liberté, une liberté sortie de nulle part, tapie dans l'ombre, toujours à portée de main. Alors Amalric « se démène pour cacher » les ficelles du scénario, « c'est ça qui est palpitant » selon lui. Capter ces faux instants inconséquents que nous offre la vie, ces moments inappropriés, ce côté lunatique des sentiments dont on est tous affreusement atteint sans s'en rendre compte.


Réalisateur, l'homme qui se rend compte

 

Le réalisateur est justement là pour rendre compte. L'œil derrière la caméra, il est là pour « réussir à emmener les spectateurs » dans son monde qui n'est jamais très loin de leur propre monde à vrai dire. Un monde construit d'états inconstants qui sous la voix charismatique de Mathieu Amalric prend des allures fulgurantes, imagées et tellement réelles. « En général on se dit les choses au mauvais moment, les scènes d'amour arrivent quand il ne faut pas et tout ça m'amuse pleinement! » lâche t-il d'un air jouissif, comme animé par la fièvre de ces instants ratés et ces rendez-vous manqués que sa filmographie capture de façon si élégante.

 

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Voir et écouter Mathieu Amalric se débattre avec plaisir aux questions de François Bégaudeau c'est avoir la formidable opportunité, pour les initiés du cinéma « almaricien » comme pour les simples curieux, de constater l'étendue de son amour du cinéma. Sur scène, il n'est plus le looser sublime toujours teinté d'une certaine arrogance qu'il a tant incarné au cinéma. Il n'est plus non plus ce méchant épatant et jubilatoire des Adèle Blanc-Sec ou James Bond. Il est un homme de cinéma. Un créateur soucieux de produire des odes barrées, poétiques, tristes et comiques comme cette commande de la Comédie Française dont il a ramené un extrait au festival. Une adaptation filmée de L'Illusion Comique de Corneille plongée dans le bazar du monde moderne. « Il faut mettre de la vie dans le texte » explique Amalric.

 

La vie. Ce mot majestueux et précieux revient à maintes reprises dans la discussion. Comme un leitmotiv dans le parcours d'Amalric. Ce parcours qu'il évoque par cet appartement partagé à ses débuts avec des copains qui voulaient tous être comédiens. Tous, sauf lui. Lui ne voulait pas faire l'acteur, non, aujourd'hui encore il avoue vouloir « éviter de se noyer dans la belle vie d'acteur ». Ce qu'il préférait déjà à l'époque c'était l'envers des décors. En ce temps-là, il enchainait les tournages en tant qu'accessoiriste ou régisseur. Ces nobles activités de coulisses, il les cite, aujourd'hui, avec plaisir. Elles reviennent sans cesse alimenter la discussion pour soutenir l'idée même que se fait Amalric du cinéma : un cinéma artisanal dont la valeur suprême est cette infinie de possibilités et d'histoires.

 

Lui le fils d'une femme de lettres et d'un grand journaliste a fait le choix d'échapper à son destin littéraire pour embrasser une carrière dans ce monde infini qu'est le cinéma. « Pourquoi ce choix? » interroge Bégaudeau. La réponse ne se fait pas attendre, elle est claire et nette, elle avoue l'indécision qui caractérise si bien les héros « amalriciens » : « Les gens de notre génération qui font du cinéma, sont des gens qui n'ont pas eu envie de choisir parce qu'ils étaient curieux de plein de choses, de tous les arts. Le cinéma permet cette diversité aux gens incapable de choisir comme moi ». « Incapable de choisir » : les mots sonnent comme l'origine même de toute son œuvre. Cette indécision permanente explique même son chef-d'oeuvre Tournée, où Joachim Zand, le personnage qu'il incarne, est « spectateur à perpétuité » parce que malheureusement incapable de choisir justement. Sans cesse entre désirs et échecs, envolées et chutes, rires et larmes, Joachim Zand sur l'écran comme Mathieu Amalric sur scène ce jour-là apparaît tout simplement comme une personnage magnifiquement « vidé et beau ». Un chic type finalement, dont la tête bouillonne d'idées et de jolies indécisions. Un garçon aussi doué pour raconter l'histoire de la vie que pour la jouer sur grand écran.

Tag(s) : #Cinéma
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