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Il y a pratiquement un an, la vague Entre les murs déferlait. Bégaudeau était partout, entre humilité et arrogance, il tirait l'alarme d'une éducation menacée et de jeunes laissés en péril de l'autre côté du mur. Cantet réalisait la docu-fiction qui raflait tout sur son passage: Palme d'Or, César,... Entre les murs, véritable pamphlet aux allures sages devenait le film culte sur l'école et plus encore sur l'école en banlieue. La critique et le public applaudissait les bons sentiments du prof de français humain, malgré tout.

Un an après, Arte diffuse un long métrage qui, une semaine plus tard, se retrouve sur quelques écrans de cinéma. Je dis "quelques" car je ne peux dire "tous" étant donné que bons nombres de salles ont boycotté La Journée de la jupe. Que les machos ne s'indignent pas de ce titre! La Journée de la jupe n'est pas un film sur la dernière création à la mode ou un film ultra-féministe. Non, La Journée de la jupe est un film anti-entre les murs mené tambour battant par une actrice loin d être à bout de souffle. Ah, le come-back d'Adjani, la presse ironise là où il ferait mieux d'applaudir la prestation sous tension d'une des meilleures actrices françaises. Adjani joue les anti-Bégaudeau, vomit les bons sentiments du bon samaritain et illumine ce film politiquement incorrect sur les vraies difficultés rencontrées par les enseignants en banlieue et ailleurs.

Le visage las, la jupe droite, une professeur de français tente de se frayer un chemin dans une rangée dérangée de petits jeunes chahuteurs. A peine le cours de français commencé, la tension est à son comble, comme si non loin une bombe à retardement était caché dans le décor de la salle de cours. Or il s'agit là d'un cours pas comme les autres ayant lieu dans une pièce pas  tout à fait comme les autres. Aujourd'hui,  c'est théâtre! On tente d'étudier du Molière, s'il vous plait! On essaye d'approcher la langue française dans ce qu'elle a de plus précieux. Mais allez donc enseigner Molière a une bande de galopins pour lesquels seuls compte les meufs, la tune et la baise et qui n'ont strictement rien à foutre du "pourquoi ce qui arrive arrive". Mission impossible. Le cours commence, Molière peut se retourner dans sa tombe, les gamins n'ont strictement rien à foutre de son théâtre de mœurs. Eux n'en ont aucune. Alors, la prof virevolte d'un côté puis de l'autre, sermonne celui-ci pour en sermonner un autre deux secondes plus tard. Triple mise en abime du théâtre de Molière dans le théâtre du collège où se joue le théâtre de la vie. Le chaos survient d'on ne sait où. Une arme tombe du sac d'un adolescent. Panique sur tous ces visages métissés. Le visage pâle et fatigué de Sonia Bergerac (Isabelle Adjani) se fige entre panique et exaspération. La professeur, le regard tourmenté, se précipite et s'empare de cette arme, cet objet précieux qui en une seconde la fait basculer dans le cauchemar de la prise d'otage. Le film est lancé et quitte à se faire mal (et surtout à faire mal) fonce droit dans le mur le sourire aux lèvres parce que qui dit arme en main dit pouvoir. Le pouvoir de dire les choses, de cracher ce que l'on a sur le cœur, d'expulser tous ses maux qui rongent notre société. C'est parti...

Le cours devient prise d'otage et vice-versa. Sonia Bergerac profite de son miraculeux pouvoir sur ses élevés pour enseigner Molière et sa prose vertueuse. La pression augmente à l'intérieur de ce théâtre improvisé où on improvise une prise d'otage. Soudain, le visage d'Adjani revit, reprend toute sa grâce et sa révolte. D'un seul coup là revoilà: Adèle H, Reine Margot, Camille Claudel, elle redevient tous ces personnages, toutes ces héroïnes, qu'elle incarna à merveille sur grand écran, toutes ces femmes bafouées, humiliées et révoltées. Justicière d'une société à la dérive, elle règle ses comptes et déballe tout sur scène à cœur ouvert: racisme, religion, communautarisme, violence, machisme, tout y passe en gardant ses distances avec ce discours intello qui refuse de se rendre à l'évidence. Les choses ont un nom et Adjani l'utilise. Bégaudeau peut se rhabiller. La Journée de la jupe est lancée à toute vitesse et contre la libération de ses élèves, Sonia Bergerac réclame au Ministre de l'Éducation Nationale, une journée de la jupe par an. Pour qu'on en finisse une bonne fois pour toute avec l'idéologie misogyne qui voudrait que la femme en jupe soit une pute. Ni pute, ni soumise, en jupe ou en pantalon, la femme reste femme et rien d'autre. La paix!

Arme en main, Sonia Bergerac mène de front son cours sur Molière et son cours sur la vie, la vie dans une société démocratique et laïque. La douce France à louper l'intégration de ses enfants d'immigrés venus un beau jour aider le sol français. Elle n'ose pas se l'avouer et n'ose pas poser de mots sur les problèmes qu'elle a enclenché. Le scénario parfaitement écrit de Jean-Paul Lilienfied dénonce et est un véritable plaisir pour les esprits. Du rires aux larmes, voici le premier effet de cette tragédie humaine, effet rare au cinéma que cet engagement qui se prolonge jusque dans le rire avec un Jackie Berroyer excellentissime en principal qui n'ose pas virer tous les caïds du collège de peur que celui-ci ne soit vider, un Denis Podalydès en chef du raïd aux répliques cinglantes... La critique accuse le film de stéréotypes consternants, de scènes bourrés de clichés, d'une Adjani à bout flirtant avec la folie. La tragédie est là en ces points que la critique pointe avec ses grands airs d'humaniste à deux balles. Prôner les valeurs d'un État démocratique et laïque ne plait pas à tout le monde. La professeur explose, déraille et quitte les rangs le temps d'un instant  pour ouvrir sa gueule, comme personne ne le fait jusque ici, crache sa rage, explique que l'école ne sert pas à fabriquer des ignorants mais des citoyens capables de vouloir pouvoir savoir le "pourquoi de ce qui arrive arrive". Loin de la propagande de l'État, loin de cette relativisation à la Darcos ou à la Pécresse, que l'on voit parfaitement ici enfiler le costume de la Ministre de l'Éducation qui est prête à sacrifier médiatiquement et physiquement la professeur, La Journée de la jupe se dresse le point levé contre toutes "ces conneries qui font des ravages".  Saturation: de la violence, des insultes racistes et sexistes, des mecs qui voudraient que la majorité des nanas cachent leurs formes avantageuses, du mépris des valeurs laïques, du racisme anti-blancs, de l'antisémitisme islamique, des clichés sur les arabes, des viols collectifs, de l'appauvrissement de la langue française, de l'école qui joue les "garderies sociales", de cette société de l'apparence, des émissions de réalités, d'une intégration soi-disant réussi, des fausses interprétations du Coran, des voyous religieux,  d'un État incapable et profondément hypocrite. La saturation mène à l'explosion inévitable: Adjani est là, armée, coléreuse, un brin hystérique et déballe tout pour mette en évidence ce merdier gigantesque. L'arme pointé sur ces jeunes, elle pointe leurs contradictions, leurs attitudes paradoxales à gerber: "Quand une fille baise, elle se salit mais pas le garçon c'est ça?" hurle la prof à bout de souffle et de cachets de tranquillisants. Adjani excelle parce que Sonia Bergerac c'est elle, c'est toutes ses héroïnes et c'est son moi profond et premier. La petite fille au père musulman qui n'avait pas le droit d'étaler sa féminité et son féminisme. Sonia Bergerac et Isabelle Adjani ont ce point commun, qui émeut à l'instant où il est dévoilé dans le film. Au téléphone, le père de la professeur tente de convaincre sa fille de se rendre, la prof de français redevient petite fille en réemployant la langue qui est la sienne: l'arabe. Regards stupéfaits des élèves: "Madame, pourquoi vous nous ne l'avez pas dit? Pourquoi ne pas avoir dit que vous étiez comme nous?". La réponse est instinctive: "Je suis professeur de français". L'instant frappe par sa tragédie: des parents sont partis de chez eux, de leur terre natale pour offrir un avenir meilleur et convenable à leur progéniture. Hélas, l'État a tout gâché et la progéniture ne cesse de se gâcher.

Cette prise d'otage vire en mission impossible où chacun des acteurs de ce cauchemar sait parfaitement qu'après il n'y aura rien. L'un d'entre eux murmure: "Et après, il y aura quoi? Il y aura rien de changer". Diablement vrai, la sentence résonne par sa dramaturgie, Adjani aura beau trembler, gueuler, pleurer, violenter ces êtres, rien ne changera mais la prise de conscience sera au rendez-vous. Coup de gueule satisfaisant nos instincts les plus inavouables et sauvages, La Journée de la jupe n'est pas une solution mais un soulagement. Un huit clos réussi sur toutes les angoisses, les colères, les haines qui gangrènent notre société et la mènent doucement vers le désastre.


 


Tag(s) : #Télévision
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