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Il aura fallu attendre le mois de décembre pour voir débarquer sur les écrans le meilleur film français de l'année. Une comédie brillantissime du début à la fin, où toi, petit spectateur français (et j'ai envie de te dire peu importe ton nom !) tu trouveras sans soucis ta place entre quelques rires et quelques pleurs, quelques arabes et quelques juifs, quelques français bien fachos et quelques gauchistes bien gauchistes, car si tu ne le sais pas encore je t'annonce, à toi et ta petite mémoire courte, que c'est ça la France. Voilà ce que conte avec brio, Le Nom des gens, le nom de tous ces gens témoins du pire comme du meilleur de notre chère et tendre patrie.

 

NomdesGens4Le Nom des gens débute dans une radio publique. C'est pour vous dire le symbole ! Dans un studio de France Inter , Arthur Martin (oui, comme celui des cuisines !) est venu parler aux auditeurs d'oiseaux et de virus. Bref, de trucs bien inquiétants en cette année 2002. À quelques mètres de lui, Bahia Benmahmoud gèrent les appels des auditeurs. Lassée d'entendre les dires de ce cher Monsieur Martin, Bahia débarque dans le studio d'enregistrement : « C'est à cause de gens comme vous que les gens deviennent fachos ! ». Elle est comme ça Bahia : elle sait pas fermer sa gueule et ça fait du bien. Elle est à l'image du Nom des gens, une bulle de liberté dans un hexagone étriquée, un éclair de lucidité dans les mémoires d'un pays amnésique, une idéaliste dans un monde où l'on a oublié ce qu'étaient les idées.

 

Bahia Benmahoud est une française d'origine algérienne. Et ouais pas de chance la jolie blonde n'est pas brésilienne ! Elle vient de là-bas, terre anciennement française que les mémoires ont oublié avec le temps. Là-bas c'est l'Algérie, terre des pires horreurs où le père de Bahia, petit garçon à la fin des années 50, a vu mourir son père et ses oncles sous les balles françaises. Depuis ce jour-là, son papa a du apprendre à baisser la tête. Quand il débarquera dans la France des années 70, le papa de Bahia ira de galère en galère puis rencontrera une « baba cool », française « pure souche » soixante-huitarde bourgeoise qui déteste les français. De leur histoire d'amour naîtra la lumineuse et pétillante Bahia, enfant du métissage, fille de France, progéniture de gauche dont l'idole s'appelle François Mitterrand. Bahia est, selon sa propre définition, une « pute politique ». Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que Bahia dans la vie, les mecs de droite elle les nique. « Mais quand je dis que je les nique, je les nique vraiment ! C'est pas métaphorique quoi ! » expliquera t-elle à sa nouvelle proie : Arthur Martin.

 

Arthur Martin (qui n'a strictement rien à voir avec les cuisines) possède un nom bien franchouillard et des origines juives très bien occultées par ses parents puis par lui-même. Les grands-parents d'Arthur, des grecques de confession juive, ont porté l'étoile jaune, raflés par la police française dans la France pétainiste de 43 avant de mourir à Auschwitz comme de nombreux Cohen. Annette Cohen, leur fille rescapée de la rafle, se réfugiera dans des études de mathématiques et rencontrera son mari Lucien Martin passionné de nouvelles technologies (qui ne trouveront jamais leur succès dans la société de consommation). Enfant unique Arthur Martin grandira dans une banlieue pavillonnaire dans une triste atmosphère de tabous, une famille bien française en somme. Il deviendra un virologue adepte du principe de précaution, et aussi un Jospiniste de la première heure... Oui, Arthur est de gauche, aussi quand il voit débarquer dans sa vie la pétillante Bahia telle une furie, qui lui propose illico presto de le mettre dans son lit, il ne comprend pas très bien pourquoi... Et si c'était l'amour tout simplement ?

 

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L'amour de Bahia et d'Arthur « a la classe ! » comme le dit si bien Bahia quand elle apprend que les grands-parents de son amoureux sont morts à Auschwitz.Le Nom des gens « a la classe ! », la classe monumentale de nous emmener ailleurs, chez nous, chez cette France du XXIe prisonnière de ses horreurs et de ses grandeurs. Si l'histoire de Bahia et d'Arthur nous frappe aux coeurs et aux idéaux (s'il vous en reste encore) c'est parce qu'elle est vraie, qu'elle trouve ses sources mêmes dans les origines de Baya Kasmi et Michel Leclerc le couple de scénaristes amoureux de la France. Le Nom des gens, écrit à quatre mains, a reçu une belle ovation en mai dernier à Cannes à la Semaine de la Critique. L'ovation méritée remerciait les quatre précieuses mains d'avoir signées une des plus savoureuses comédies françaises de ces dernières années, la meilleure de l'année certainement.

Belle et rebelle, cette réalisation redonne à la comédie française toute son intelligence et sa liberté. Dans un paysage amnésique, où les héros n'ont ni passé, ni idéaux politiques, Le Nom des gens nous racontent l'histoire personnelle de nos deux héros d'une manière poétique et amusante qui n'est pas sans rappeler les « j'aime, j'aime pas » du Fabuleux destin d'Amélie Poulainde Jean-Pierre Jeunet. Ici le fabuleux destin est celui de deux bâtards, car au final il n'est question que de ça dans Le nom des gens, de cette phrase lâchée par notre irrésistible Bahia : « On est des bâtards, des millions de bâtards. Les bâtards c'est l'avenir de l'humanité ». Arthur et Bahia sont des étrangers dans une France composée et construite par des étrangers. Par sa romance folle, à la trame génialissime d'originalité, le film revisite la question de l'identité qui est bien plus qu'un patronyme bien franchouillard ou un nom à consonances brésilienne.

L'identité est menée tambour battant par une passionaria des temps modernes : Bahia incarnée par la fantastique Sara Forestier qui illumine le film du début à la fin. Bahia se sert de son cul pour changer le monde, à chacun sa méthode : elle, son arme de destruction massive pour détruire les fachos c'est son corps. Bahia a remarqué qu'au moment où son partenaire de droite va jouir il est beaucoup plus receptible aux idées de gauche. Une partie de jambes en l'air et hop le gendre idéal de l'UMP devient le lendemain un type qui vote à gauche toute ! La tactique ahurrissante déclenchera multiples crises de rire. Irrésistible lorsqu'elle sort de son isoloir en chialant comme une gamine parce que « J'ai voté Chirac c'est horrible ! » comme elle dit, Bahia est tout ce qui manque à la France et au cinéma français certainement : une vitamine de spontanéité, rafraichissante capable de regarder avec honnêteté les erreurs du passé et l'espoir esquissé par le futur. Bahia est une sorte de vitamine gauchiste au punch incroyable qui sait que la gauche pure et dure n'est pas celle qui flirte avec le capitalisme, et qui par ses répliques irrésistibles et dépourvues de toute nuance (« Le quad c'est de droite » ou « Tous les mecs de droite sont des fachos ! ») feront un bien incroyable à vos idé(aux)...

 

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Face à elle, Arthur est un quinquagénaire séduisant de retenu. Lui sa méthode pour changer le monde c'est de voter Jospin. Alors imaginez sa tronche le soir du 21 avril 2002 ! Arthur est profondément de gauche, tellement de gauche qu'il restera Jospiniste et que sa belle Bahia lui offrira une rencontre avec son idole (une rencontre avec ce cher Lionel qui vaut quelques minutes à mourir de rire). Le plus gros handicap d'Arthur c'est sa famille « française » car si Bahia est fière de ses racines, lui les dissimule coûte que coûte, jusqu'au jour où Annette sa mère se fait voler ses papiers et doit les refaire. Scène bouleversante où cette mère qui occulte depuis 60 ans la déportation de ses parents se retrouve face à une employée de mairie aux termes symptômes de notre tragique temps : « Est-ce que vous êtes bien française, madame Martin ? ». Arthur la gifle violemment et certainement au fond de notre petite coeur avons-nous envie de faire une chose semblable. En une réplique, tout est dit, tout n'est qu'écho à la France d'aujourd'hui et d'hier. La mère d'Arthur ne s'en remettra pas, et nous non plus...

 

Non, on ne sortira pas indemne d'un long-métrage aux si bonnes idées. Car les idées développées par le film de Baya Kasmi et Michel Leclerc ne sont pas simplement politiques, rassurez-vous, elles résident aussi dans l'écriture rocambolesque d'un conte moderne où la petite algérienne finira heureuse avec le petit-fis juif (non, ils ne se marieront pas parce que bien évidemment « Le mariage c'est de droite »). L'astuce du scénario, petit conte moderne engagé, est d'user de ficelles divertissantes comme les fantômes de Bahia et Arthur gamins venant hanter les grands incapables de dire certaines vérités utiles. Les petites trouvailles fictionnelles amusantes gagnent notre attention en un temps éclair, le tout basé sur l'agilité humoristique du duo Forestier/Gamblin, couple de cinéma inattendu qui rayonne de beauté et d'idées. Leur surprenante histoire d'amour fait du bien aux idéaux mais aussi au coeur, car elle est d'une rare émotion de la rencontre furibarde à la scène d'amour à l'envers où Bahia déjà déshabillée se fait rhabillée par un Arthur timide mais déjà conquis. Comédie romantique oui, mais comédie romantique à l'opposé des comédies romantiques qu'on nous sert tous les mercredi en salle. Le Nom des gens ne se contente pas de la vieille recette « il était une fois un juif et une arabe qui s'aiment », non, il ne s'arrête pas à l'histoire de religion, il touche à tout : religion, politique, histoire du pays. Aussi nos deux personnages principaux, Bahia et Arthur construisent ensemble notre histoire commune. L'histoire de Bahia et de son père algérien, galérien de toujours qui ne demande rien à personne mais fait plaisir à tout le monde, et celle d'Arthur et de sa mère, rescapée d'une France pas si éloignée de celle d'aujourd'hui, ils racontent tous ensemble l'histoire de notre douce patrie d'hier, un hexagone collaborateur, délateur, colonialiste, fasciste sur les bords contre lequel Bahia et Arthur se battront coûte que coûte. Un combat mené jusque dans le nom de leur progéniture, né le même soir que la France que Bahia n'aimera pas : le 6 mai 2007.

 

Comédie politico-romantique comme on a rarement vu dans les salles hexagonales, Le Nom des gensest un remède miraculeux contre l'air du temps. Une comédie intelligente dont la réussite est simple : donnez envie ! Envie d'aimer, envie de voter, envie de se battre contre le désengagement et l'individualisme qui règne en maitre dans nos consciences modernes. Oui, on a envie de faire tout comme eux : d'acheter des langoustes (ouais, parce que « le homard c'est pour les riches ! ») et de filer vers la mer pour libérer nos crustacés, d'embrasser Bahia à pleine bouche lorsque dans cette scène bouleversante de réalisme elle refuse énergiquement que le métro redémarre laissant sur le quai un couple de petits vieux trop lents pour la rapidité de l'époque. Voilà, Le Nom des gensc'est exactement ça : un film où enfin on prend le métro, un film où enfin on voit des gens voter, un film où enfin les personnages ont un passé, un film où enfin nos personnages ne sont pas là simplement pour se draguer/baiser/se séparer, un film où enfin on arrête de nous prendre pour des cons. Le Nom des gensmettra certainement un bonne dose de baume au coeur à tous les gens de gauche « la vraie », celle qui a pleuré un certain 21 avril 2002. Le Nom des gens éclairera certainement les gens aux convictions de droite et leur montrera combien leur France à eux est bien terne. Histoires de gauche et de droite entremêlées, Le Nom des gensnous apprend surtout que le plus insupportable est certainement l'indifférence, celle qui a laissé des millions de juifs se faire déporter, celle qui a laissé se faire massacrer le peuple algérien, celle qui aujourd'hui ne s'offusque pas devant les JT désolants d'inégalités. Le Nom des gens nous offrira également une belle leçon d'histoire dont on avait grand besoin, et nous enseignera la classe absolue : savoir s'engager avec ardeur, savoir dire non quitte à être de mauvaise foi parfois comme Bahia. La classe absolue c'est ça, s'intéresser aux noms de gens, pour leur histoire, leur héritage et c'est de se foutre royalement de ce nom car au fond on est tous l'étranger de quelqu'un.

 


Tag(s) : #Cinéma
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