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Le film n'a pas encore débuté que l'on s'interroge déjà sur le pourquoi du comment on en est arrivé là. Pourquoi sommes nous encore coincés dans une salle obscure à regarder attentivement se jouer le destin d'une reine de France, pauvre petite fille riche éloignée de sa terre natale, véritable putain d'une époque où les courbettes avaient la cote et le peuple français sacrément faim ? Pourquoi l'autrichienne Marie-Antoinette subjugue tant les cinéastes et les spectateurs français ? Trêve de questionnement, la reconstitution signée Benoît Jacquot commence...

 

AdieuxReines1Fidélité jurée à sa Majesté

 

Elle n'avait rien d'une reconstitution. Plutôt un doux songe flirtant à certains plans avec l'angoisse née d'un cauchemar et le trouble d'une réalité sur le point de tout changer. De tout faire voler en éclat. Tout voler à ceux qui ont tout et donner un peu à ceux qui n'ont rien. Les Adieux à la Reine s'ouvre sur un beau matin de juillet 1789. Le 14 pour être tout à fait exacte. Dans les fins fonds d'un Versailles rutilant, Sidonie Laborde s'éveille, la tête dévorée par le manque de sommeil et les bras par les moustiques. La pendule indique 6H00. Elle court à son destin de liseuse dévouée de la Reine. Dans les couloirs du château doré, des bruits courent. Elle lit la légèreté d'un Marivaux à Marie-Antoinette pour lire l'instant suivant la peur dans le regard de ses contemporains. Au détour d'une confession, elle comprend que la Bastille a été prise par le peuple. Elle pourrait choisir de prendre la poudre d'escampette comme une de ses amies servantes. Ou de passer ces derniers instants privilégiés à Versailles à découvrir les choses de l'amour dans les bras d'un bel italien. Mais non, la jeune orpheline, issue de ce peuple qui va causer sa perte prochaine, préfère rester coûte que coûte au service de sa Majesté. Cette Reine, qu'elle admire et aime en secret. Protégée par cette beauté diaphane, rien ne peut lui arriver. Pense t-elle avec la naïveté du jeune âge. Ou de l'amour.

 

En choisissant d'adapter le roman éponyme de Chantal Thomas, Benoît Jacquot continue à respecter sa ligne de conduite cinématographique : capturer des destins de femmes, capter leurs failles et leurs atouts. Ici trois destins s'agitent. Celui d'une Reine sur le déclin (Diane Kruger aussi diabolique que touchante), une courtisane sulfureuse (exquise Vigirnie Ledoyen) et une jeune lectrice à l'innocence troublante (Léa Seydoux beauté tonitruante toujours échappée d'un tableau de Botticelli). Entre elles, Benoît Jacquot organise un petit manège aussi excitant que dérangeant. Un trafic de sentiments inavouables qui vogue de Versailles au petit Trianon en passant par les chambres de la Cour aux chambres de ceux qui travaillent dans l'ombre.

 

Quand la grande Histoire rencontre le petit peuple

 

Derrière le mécanisme du cœur de ces trois dames se dissimule en arrière plan le mécanisme d'un monde où cohabitent plusieurs sociétés. Qui ne doivent bien entendu jamais se rencontrer mais que la nuit du 14 juillet mènera à quelques familiarités. Roi et reine font leurs caprices ensemble, tandis que conseillers et gouvernement tentent de maintenir le navire à flot. La Cour, elle, observe, fait des courbettes et s'inquiète de son sort quand elle voit apparaître dans la forteresse que constitue Versailles cette fâcheuse liste « des têtes qui doivent tomber » au nom de la révolution. Puis, il y a ce petite peuple de l'ombre : les domestiques de Versailles. Ceux-là captivent le cinéaste. Aussi terrorisés que leurs maîtres, ils semblent avoir oublié leurs origines. Les idées révolutionnaires ne parlent guère à ce peuple qui vit dans les souterrains du château. Benoît Jacquot filme cette cour des miracles version 1789. Elle ne s'aventure jamais plus loin que les caves, les souterrains, les cantines en sous-sol. Les scènes en extérieur sont rares. Le peuple de Paris invisible à l'écran. Le cinéaste fait coexister deux mondes parallèles mais qui jamais n'osent se frôler, s'ignorent totalement. L'un ne désirant pas contempler la misère de l'autre.

 

AdieuxReine2

Cette misère le spectateur la contemple grâce à Sidonie. Elle cavale d'une pièce à l'autre, court dans les couloirs et on la suit à vive allure. Elle poursuit la Reine et nous la poursuivons. Perdre du regard son dos dans ce dédale doré est une véritable angoisse. Cesser de la contempler c'est comme lui faire perdre encore un peu plus la raison. Car Sidonie, par amour ou par jeunesse, est follement déraisonnable. Et ce jusqu'au bout. On vit avec elle le bouleversement de la grande Histoire et le bouleversement subit par son petit cœur de jeune fille tourmentée. La lectrice est amoureuse de cette Marie-Antoinette déboussolée et manipulatrice. Le cinéaste est amoureux de cette lectrice-actrice qui va bientôt venir se fracasser toute entiète contre la folie de l'amour, la cruauté du monde et la grande Histoire qui passe son temps à se faire et se défaire. Benoît Jacquot prend plaisir à filmer ce désir muet qui transparaît pourtant à chaque regard, à chaque respiration de la jeune Sidonie. Puis il y a l'autre plaisir, plus sournois, plus incisif. Un désir de dire, filmer cette Histoire éternelle recommencement. Qu'il est désolant de voir ce peuple individualiste comme ses maîtres. Qu'il est affolant de voir ces gens de pouvoir sourd à la détresse du peuple. Qu'il est abject ce besoin que chacun a de vouloir s’enchaîner à ses petits privilèges, si minces soient-ils. Fougueux et bouleversants, ces Adieux à la Reine portent mal leur nom. La caméra de Benoît Jacquot nous fait réaliser que non, on n'a jamais vraiment dit adieux à Marie-Antoinette et à tous ces privilèges détenus par une infime minorité. On n'a simplement passé des siècles et des siècles à essayer de leur dire adieux. A abolir les privilèges. Les Adieux à la Reine n'est pas une vague reconstitution. C'est un noble écho à l'Histoire et à notre présent où à tout moment le peuple peut se lever et dire non.

 

 

Bande annonce Les Adieux à la Reine de Benoît Jacquot

Tag(s) : #Cinéma
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