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UnPoisonViolentDans la bouche de Serge Gainsbourg, le poison violent n'était autre que l'amour. Dans l'œil de Katell Quillévéré, le poison violent est autre. Il reste toujours l'amour, mais il est soudainement aussi religieux. La première victime de ce poison violent est la petite Anna. 14 ans et une jeunesse loin des clichés de l'époque, la jeune fille quitte son internat pour revenir passer l'été dans son village breton. Là-bas, dans la grande maison familiale et bourgeoise vit tout un monde sur le déclin : un papy complice attendant venir sa fin prochaine, un père déserteur et trompeur, une mère désespérée. Dans cette débâcle familiale, Anna, l'adolescente croyante, va elle aussi connaître le déclin : le déclin de sa foi en Dieu. Alors que le cocon familial vacille, sa foi s'ébranle. Et nous spectateurs vacillons avec elle.

 

Un poison violent nommé désir

 

Dès ses premières minutes, Un Poison Violent semble vouloir emporter son public sur des chemins oubliés. La province, ses après-midi pluvieux, ses rues ternes, son silence impressionnant. Ce coin de France injustement oubliés par les productions françaises de ces derniers temps. Katell Quillévéré marque un premier point en sa faveur en allant chercher des vérités bien au-delà de la périphérie parisienne. Cette vérité fut certainement la sienne. Celle d'une jeune fille abîmée par une éducation trop chrétienne et de ce fait trop culpabilisante. Ici c'est Anna qui culpabilise. Anna qui ne sait plus à quel saint se vouer. Notre première rencontre avec elle a lieu un dimanche monotone, comme seule la province sait en fabriquer. Elle et sa chevelure blasphématoire s'expose face au curé, à qui elle refuse ce fameux corps du Christ. Ce corps est tout l'enjeu du sermon donné par ce subtil premier film. Il y a le corps du Christ, celui d'Anna, celui du jeune Pierre qu'elle désire et même au-delà le corps du grand-père grabataire et des autres adultes autour d'elle. Dans cette Bretagne aux couleurs impressionnistes, Katell Quillévéré filme plus que des corps en action, elle capte le désir naissant dans chacune de ces chairs, qu'importe l'âge ou le sexe de celle-ci. Du grand-père bouffeur de curé au curé lui-même tous sont soumis à ce poison violent nommé amour ou plus simplement désir. Celui-là même répréhensible par la loi chrétienne.

 

Récit initiatique contre vies sacrifiées

 

Toute la difficulté d'un tel sujet était de ne pas se perdre dans l'accusation pure et dure à l'égard de ce carcan religieux. Katell Quillévéré se sépare de toute la violence qu'elle a pu ressentir à l'égard de Dieu et de ces principes nauséeux. Elle préfère dépeindre son milieu, sa prise de conscience par la grâce, pour le coup divine, d'une adolescente interprétée par la touchante Clara Augarde. Âge clé de la vie, où la nécessité de comprendre et de choisir s'avère féroce, l'adolescence se veut aussi ce temps du duel intérieur entre ce que les autres veulent de nous et ce que nous désirons de nous-même. Les autres (sa mère en particulier) désire qu'elle fasse sa confirmation. Or Anna voit son besoin de confirmer sa foi vaciller. La faute au désir naissant, à la sexualité séduisante où à cette famille qui bascule dans tout ce que Dieu refuse en bloc. Ce basculement soudain est troublant pour Anna, autant que ces désirs sont troublants pour les spectateurs. Avec une sensibilité justement dosée, et une sensualité tout en discrétion, Katell Quillévéré capte les premiers émois d'Anna. D'abord, un émoi mystique lorsqu’elle pose la photo du Christ contre son cœur, puis un émoi fantasmé lorsqu'elle serre un oreiller un peu trop fort la nuit, avant d'être victime de l'émoi physique lors d'un premier baiser. Parfois déroutant, souvent attendrissant (notamment les scènes avec un formidable papy : Michel Galabru), Un Poison Violent amène à une réflexion particulièrement nécessaire sur l'âge constructeur qu'est l'adolescence et sur cette prison pour le corps et l'esprit qu'est la religion.

 

UnPoisonViolent3

Récit initiatique pour Anna comme pour ceux qui la regardent sur l'écran, Un Poison Violent s'épanche sur des vies sacrifiées. Sacrifiées par Dieu lui-même. La mère d'Anna, incarnée par une Lio tout en retenue, sera une des sacrifiées, par Dieu et ses principes et de ce fait par l'amour et ses tourments. Son ami, le père François, appartiendra lui aussi à cette catégorie-là, un être heureux, ne pouvant plus retenir ses larmes de sacrifié la nuit tombée. Dans ce monde de sacrifiés par la morale d'un Dieu tout puissant, Anna s'échappera l'heure venue. L'heure de la confirmation a sonné, et elle regarde cette mascarade se jouer. Ce n'est pas les murs d'un église, mais les murs d'une prison. Ce n'est pas un évêque aimant qui lit La Lettre de Saint-Paul aux Galates mais un effroyable inquisiteur endormant avec ses sermons ces êtres aux vies sacrifiées depuis des lustres. Anna, elle, se réveille à temps, et comprend dans la demeure de Dieu que le poison violent est tout autre que celui qu'on lui enseigne depuis l'enfance. Lors de cette confirmation, tout se confirme pour elle : elle s'émancipe soudainement de ses pulsions, de ses craintes, de ses contradictions et préfère choisir alors le poison violent de l'amour au poison violent de la religion.

 

Un Poison Violent bande-annonce

 

Tag(s) : #Cinéma
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