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ita-l-nee-goldfeld.jpgC'est une pièce très courte. Une heure pas plus. Une heure dans la vie d'une femme. Ital L. née Goldfeld n'a qu'une heure elle devant pour choisir : fuir ou attendre. Fuir la mort ou l'attendre. Dans ce petit appartement de la rue du Petit Musc, Ita attend en se remémorant sa vie et ceux qui l'ont peuplé. Son mari est mort des suites de blessures de la guerre de 14. Mort pour la France, comme elle dit. Cette France où on est en sécurité, comme le disait son mari Salomon. Deux de ses enfants sont partis en zone libre. L'aîné lui est sans doute déjà à Drancy. Quand la police française débarque chez elle, elle croit naïvement que c'est pour donner des nouvelles de cet aîné qui a disparu de la circulation. Naïve ou raisonnée, extrêmement lucide ou complètement désœuvrée, cette femme naît sous une mauvaise étoile porte son fardeau sur son sein droit : une étoile de David cousue sur le manteau comme tatouée au corps, comme quelques temps plus tard les SS d'Auschwitz lui inscriront ad vitam eternam son numéro de déporté sur le poignet. Ita est juive ce n'est pas un fardeau pour elle, non, dans sa bouche cela semble merveilleux d'appartenir à cette communauté. Quand elle raconte les scènes clés de sa vie, ou les bons mots de son cher Salomon, son regard s'illumine comme si elle venait de naître à la vie. Elle est l'exacte contraire de ses affiches nauséabondes que les nazis et la police françaises placardaient dans les rues de Paris pour prévenir le bon français du danger qu'était « le juif ». Ita elle a traversé l'Europe avec les siens, d'Odessa à la rue du Petit Musc, elle la retraversera toute seule dans un wagon de déportation. Mais ça le spectateur l'ignore. Il le devine dès le début mais il ne veut pas l'admettre, ça serait trop faire plaisir à la grande Histoire, l'abjecte Histoire. Car cette petite rengaine amère, dégueulasse, ignoble de ces jours noirs bien français sous l'égide du Maréchal, le spectateur l'a vue et revue. Au cinéma, à la télé, dans les livres. Mais Ita vole tristement la vedette à tous ces héros de fiction victime de la barbarie nazie. Elle n'a rien de plus pourtant. Une chaise, une valise, un bureau, un petit carnet, pas une seule note de musique en guise de décor. Ita est véritablement seule en scène, mais avec elle, il y a toute sa famille, tous ces visages inconnus et tellement universels, il y a toutes ces étoiles de David qui se baladent sous les yeux des bons français qui ne tarderont pas à les balancer à la Gestapo... quand d'autres feront le choix de les cacher. Oui, la comédienne Hélène Vincent est seule en scène pour interpréter ce grand rôle. Seule, elle embrasse à bras le corps tous les sentiments d'une vie avec la rage qu'on lui connaît bien. Du rire aux larmes, du renoncement à l'espoir, de la raison à la folie, du dramatique à la comédie, elle fait revivre cette femme qui a connu tant de joies, de peur et tôt ou tard de souffrances. L'arc-en-ciel d'émotions est tel que parfois, la comédienne réussit à nous arracher à la réalité. La rafle qui va tôt ou tard arriver, on l'oublie, on la range dans un coin de notre tête et d'un seul coup en scène ce n'est plus un petit appartement parisien des années 40 qu'il y a sous nos yeux, mais le charme d'Odessa, son soleil et sa mer. En une heure seulement, elle nous fait traverser l'Europe, voir le meilleur comme le pire dont la vieille Europe est capable. En une heure seulement, elle nous livre toutes les émotions d'une femme de l'époque, follement éprise de son époux, vouée à ses enfants, une femme simple comme il en existait alors des milliers en France. En une heure seulement, elle nous rapporte ce qu'il reste d'une vie quand celle-ci est sur le point de disparaître : des souvenirs. Seulement pas plus. L'issue qui l'attend est celle d'une tragédie habilement orchestrée par les mains des nazis et des gouvernants français. L'issue qui nous attend est un grand vide, grand vide d'émotions, car quand Hélène Vincent quitte la salle dans ses petites ballerines, sa petite robe noire, de petite femme comme il en existait temps, on se demande s'il sera possible de retrouver aussi parfaitement cette petite voix venue d'outre-tombe, d'entre les morts d'Auschwitz qui nous dit, simplement mais avec force en heur, n'oubliez jamais. N'oubliez jamais l'histoire d'Ita L née Goldfeld, aujourd'hui mis en scène par son petit-fils Eric Zanettacci.

Ital L. née Goldfeld

Une pièce d'Eric Zanettacci

Mise en scène Julie Lopes Curval et Hélène Vincent

Avec Hélène Vincent. Scénographie Tim Northam Lumières Arnaud Jung

Au Théâtre du Petit Saint Martin jusqu'au 14 avril

http://www.petitstmartin.com/accueil

 

Tag(s) : #Culture & the city
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