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Après Les Témoins, sujet traitant de l'apparition du Sida en France dans les années 80, Téchiné revient sur le devant de la scène avec un fait divers. Le pari était fort risqué. Le fait divers étant une matière qui mène à l'erreur, les risques étant nombreux: le jugement facile, l'infidélité aux faits,... Avec La Jeune fille du RER, Techiné ne fait pas dans le plagiat pur et dur d'un fait divers, il va au delà, il surpasse son sujet de départ et réalise une fresque sociale remarquable en partant d'un seul sujet, la jeune femme du RER, pour aboutir à une universalité totale: la société française des années 2000. Téchiné joue les sociologues invisibles et fait parcourir à sa caméra les chemins d'une société en mal de vivre et de sa jeunesse en proie aux doutes et à la médiocrité. Pourtant sexagénaire , le réalisateur filme merveilleusement bien cette jeunesse France. Conscient de l'avenir incertain de ses personnages, ils filment leurs fêlures. Blessure première dans le regard fabuleux de la petite Rosetta des frères Dardenne, une Emilie Dequenne à l'opposé du personnage qui l'a révélé. Endossant le rôle de la jeune fille à la source du triste mensonge, Jeanne Fabre, elle habite un modeste pavillon de banlieue avec sa mère, interprétée par une très crédible Catherine Deneuve. A proximité du pavillon, elle voit, et surtout, entend ce RER . Sa vie est rythmée au son du RER. Sans cesse présent, ce dernier prend un rôle incontournable dans l'histoire, le lien entre le ici et le là bas, le centre ville et la périphérie, une différence qui alimente l'esprit fragile de Jeanne. La jeune femme est en âge de trouver un travail, mais c'est oublier que les temps sont durs et que les parents sont là. Jeanne fait partie de cette jeune génération déchue qui reste chez papa et maman faute de trouver un travail. Mais Jeanne est restée enfantine, aime manger les petits pots des enfants gardés par sa mère, se baigner, faire du roller, s'habiller comme une adolescente. Après quelques minutes, le spectateur s'interroge sur l'âge de cette jeune femme à l'allure de jeune fille, et la secrétaire chargée de son possible recrutement dans un grand cabinet d'avocat parisien fait face à un questionnement similaire: "Je n'arrive pas bien à cerner vos compétences", lui dit-elle. Jeanne n'est tout simplement pas adulte mais l'apparition de Franck (Nicolas Duvauchelle) dans sa vie lui offre la possibilité de le devenir. La rencontre, dans un Paris splendidement mis en lumière, est une rencontre de l'an 2000. On ne badine pas avec l'amour, elle n'aime pas les dragueurs mais pourtant se laisse emporter par le coup de foudre. Le jeune homme, beau gosse qui entend devenir lutteur professionnel, tombe fou amoureux de Jeanne, tout en sachant "qu'elle ment comme elle respire". Leur relation sonne parfaitement juste. Dans une séquence magnifiquement mise en scène via webcam interposées, Téchiné filme les échanges troublant  d'une jeunesse qui se tourne autour sans se trouver réellement. Ce couple incarne un certain fatalisme social, celui d'une certaine classe pour laquelle l'avenir est incertain dans une société qui va droit dans le mur. Les circonstances exposées dans la première partie du film sont loin d'être atténuantes. Elles sont saisissantes et inédites, cette jeune fille du RER apportant plus qu'un fait divers.


Les conséquences sont, quant à elles, dramatiques. Le raccord entre les motivations de son mensonge et les conséquences de celui-ci est sublimée par le sens caché de la mise en scène. Après la catastrophe amoureuse, Jeanne va naturellement commettre le mensonge de trop. Un soir, elle se lève, s'empare d'un couteau et d'un marqueur. La suite, la sphère médiatique et politique s'en empare. Mais entre les deux, Téchiné nous livre la plus belle des dépositions au cinéma: en voix off Jeanne livre les faits de son agression à un inspecteur de police tandis qu'à l'image des plans magnifiques de Paris et de la vie quotidienne se succèdent. A cet instant, le cinéma de Téchiné prend toute sa valeur puisqu'il surpasse une héroïne sans épaisseur pour s'enrichir d'une multitude de personnages miroir d'un monde victime d'une crise du sens. Plus que la blessure et la faille d'une jeune fille, la chronique de Téchiné rend compte d'une faille dans notre société. Le drame de cette jeune fille cache le symptôme d'une société qui peine à œuvrer pour la jeune génération, prisonnière du passé, du poids des traditions, du manque d'emploi et d'écoute. Une cassure flagrante entre les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres, les orthodoxes et les athées que Téchiné s'attache à mettre en images: les échecs d'une société française. Le mensonge de Jeanne devient alors victime de la société et de l'État. Dans une scène, presque risible, où la mère de Jeanne reçoit un appel de l'Élysée et fond en larmes face à l'ampleur du mensonge de sa fille, on percute l'envergure du mensonge et de ses conséquences. Certains l'accablent: sa mère la sait fragile, la belle fille de l'avocat juif s'insurge et met en évidence la conséquence première de son acte: la discréditation de tous les crimes antisémites réels, tandis que le fils de l'avocat juif rit d'une telle mascarade et pointe la folie de cette fille. La conséquence la mieux menée semble pourtant celle de l'avocat médiatique juif, Samuel Bleistein, joué par un Michel Blanc grandiose, a qui Jeanne emprunte sa judaïté. Lorsqu'elle dit s'être fait agressé dans le RER, la carte de visite de Bleinstein trouvée dans son sac est à l'origine de l'antisémitisme. L'histoire se retourne contre elle par une anecdote qui renverse divinement bien le mensonge. Bleistein n'a jamais fait faire de carte de visite pensant que "c'est fait pour les cons", pour ceux qui veulent faire croire qu'ils sont quelqu'un. C'est ainsi que Bleistein se retrouve en première place pour démanteler le mensonge de la jeune fille. Mais il préfère attendre l'aveu pour mieux pointer les véritables coupables de cette mascarade: "La faute à la société, l'État, c'est eux qui ont fabriqué l'affaire du RER". Par ses paroles, la situation se renverse et en cela elle est intéressante. Téchiné pointe d'autres coupables: la société et son contexte, les médias et l'opinion publique, la police et le Ministère de l'Intérieur. Comment une affaire sans preuves à l'appui avec un dossier judiciaire vide peut-elle emporter tout le monde dans la folie médiatique? La fabrication de l'affaire du RER aurait pu arranger l'État, qui surfait à l'époque sur la folie sécuritaire et la vague des agressions antisémites. A qui aurait pu profiter le crime du mensonge ignoble? A l'État, aux médias, aux électeurs d'une certaines droite, ce genre d'affaire étant du pain béni pour les esprits réactionnaires. Un fait divers sensationnel et spectaculaire comme on en jette au peuple quotidiennement. Regardez ce faits divers, tournez la tête vers là bas, comme ça vous ne pourrez pas voir la véritable fêlure de notre société, de l'autre côté, là bas...


 


Tag(s) : #Cinéma
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