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« Une place pour Serge Gainsbourg, s'il vous plait! ». Quel soulagement quand ces quelques mots ce sont enfin échappés de ma bouche! Des mois, des semaines, des jours que j'attendais de les balancer à l'ouvreuse. Enfin, j'y étais. La salle ce soir-là, avait un parfum différent, la musique d'attente murmurait : « Ça vous a plu, hein? Vous en demandez encore? ». Parfaitement. Assise au premier rang, telle une groupie, j'en demandais encore. Chut, le voilà...


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Sur une plage, un petit garçon se voit refuser la main d'une petite fille sous prétexte qu'il est laid. Le petit homme ramasse alors un mégot sur le sable et le porte à sa bouche avec élégance. La fumée qui s'échappe de ses lèvres nous emmène dans un autre monde. Un monde sfarien. Le décor est planté. La « Valse de Melody » peut démarrer et nous transporter en deux ou trois coups de crayon dans un générique sfarien, où la gueule de Gainsbourg flotte d'un univers à l'autre. L'imagination prend le pouvoir et ne cessera de déambuler d'un univers de réalités à un univers de fantaisies afin de faire naître la noble image d'un Gainbourg héroïque. D'une élégance folle, ce biopic sur l'homme à la tête de chou est une véritable œuvre d'art entremêlant divers arts (cinéma, musique et dessins). Œuvre ultra-personnelle d'un Joann Sfar héroïque par ses choix artistiques et son envie démesurée de faire de l'histoire de Serge Gainsbourg un mythe sans limites.

Si Gainsbourg (vie héroïque) est une réussite admirable c'est parce qu'il prend sa source dans une atmosphère méconnue de l'histoire de Serge Gainsbourg. Une volonté de faire éclore les origines d'un séducteur/provocateur, de comprendre comment Lucien Ginzburg est devenu Serge Gainsbourg. Ainsi le conte sfarien débute dans la France nauséabonde des années 40. Le petit Lucien, âgé d'une dizaine d'années, se promène dans les rues d'un Paris occupé. Ses yeux d'enfants observent des soldats français chanter La Marseillaise. Ses rêves de gosse le poussent à voler un faux revolver pour devenir l'espace d'un instant un vrai cow-boy et réclamer « Du sang, du sang, du sang! » sur l'air de l'hymne national. Puis son inquiétude d'enfant le fait s'attarder sur une affiche sordide, celle du « Juif et la France », de laquelle s'échappe la caricature du juif par les nazis: physique abject, grand nez, oreilles décollés. La suprême sale gueule le poursuivra toute sa vie. La grandeur de Sfar réside certainement dans ce choix à la double pertinence et double revanche : montrer l'enfance traumatisante de ce gosse baigné dans une atmosphère haineuse, dans cette peur constante de l'autre. Lucien Ginzburg quitte le Bureau des Affaires Juives et regarde de ces petits yeux d'enfant, dans un silence morbide, les visages de ces gens, de tous âges, de tous physiques, attendant leur sort (la mort prochaine dans les camps). Sfar invente, esquisse des scènes qui n'ont sans doute jamais existées, et pourtant, grâce à elles, on ose saisir la blessure béante de cet enfant dont le physique abject aurait pu l'envoyer d'un moment à un autre vers les camps de la mort. L'enfance du petit Lucien (séducteur précoce) est un magnifique conte débordant de poésie et de romance où l'on voit se dessiner les contours d'une personnalité hors norme, certainement construite à partir d'événements tragiques...


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Quelques années plus tard, la voix de l'enfant chantonnant un poème de Baudelaire s'est subtilement transformé en voix de jeune homme. Le raccord fait sourire et laisse entrevoir la joie du spectateur découvrant son Gainsbourg en jeune peintre aux Beaux Arts. Jeune et timide, jeux de mains et de têtes remarquables, le Gainsbourg des débuts crève l'écran, et le crèvera du Poinçonneur des Lilas jusqu'à Love on the beat. Le jeu époustouflant de Éric Elmosino illumine clairement toute la mise en scène sublime de Sfar. La beauté de son jeu va au delà des atouts classiques du biopic (ici un profil à la Gainsbarre épatant), ce Gainsbourg n'est pas une pâle copie de notre Gainsbourg national, il incarne le Gainsbourg des piano-bars au Gainsbarre des provoc' à la perfection grâce tout simplement à cette force du réalisateur a avoir su ressortir la complexité du mythe Gainsbourg. Chaque scène ouvre une porte vers un Gainsbourg : garçon maladroit avec Gréco, homme désirable avec Bardot, amoureux coquin avec Jane Birkin, provocateur de génie en studio. Sans oublier la marque de fabrique exquise du poète : l'humour, un cynisme renversant et cette habilité subjugante à faire craquer toutes les femmes qui s'approchent de lui. La deuxième revanche du petit Lucien Ginzburg est parfaitement exploitée dans la seconde partie du film : un Gainsbourg héroïque avec les femmes, un garçon laid mais d'une beauté intérieure irradiante qui réussira a toutes les avoir. Gainsbourg les enchaîne : Gréco, Bardot, Birkin, Bambou et toutes les autres non présentes à l'écran. « Sur le plan horizontal, personne ne s'est jamais plaint » lâche un Gainsbarre abimé à une Bambou à la dérive sur un Love on the Beat très érotique. Gainsbourg est indéniablement peint comme cet homme à femmes, ce Don Juan sulfureux, qui d'une certaine manière les possèdera toutes par le simple fait d'écrire pour elles. Il flâne sur ce biopic un désir incommensurable, désir transmis par le charme dialectique de Gainsbourg, tout est dans une posture du corps et une posture des mots. Un désir sans cesse à l'écran également avec une succession de beautés différentes et de femmes toutes exquises à leur manière : une Anna Mouglalis/ Juliette Gréco au calme envoûtant sur La Javanaise, une Laetitia Casta/ Brigitte Bardot à la fraîcheur délicieuse sur Comic Strip, et puis une Lucy Gordon/ Jane Birkin d'une étrange fantaisie anglaise sur Le Canari est sur le balcon. Les femmes parsèment la vie de Gainsbourg et deviennent chez Sfar cette revanche ultime : ce physique pour lequel on l'a repoussé enfant, cette sale gueule qui allait l'empêcher de séduire devient tout à coup une force pour entrer dans la postérité et devenir une véritable star.


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Le Gainsbourg (vie héroïque) de Sfar est aussi l'incroyable parcours d'un homme en quête de reconnaissance permanente et de succès, un Gainsbourg qui ose sans cesse. Avec sa première compagne, Gainsbourg, alors jeune peintre, passe une première nuit endiablé chez un certain Salvador Dali. C'est sa première rencontre avec le luxe et l'argent. Dans cet appartement vêtu de noir, des plafonds aux murs (comme le sera plus tard le 5 Rue de Verneuil), Joann Sfar capte le regard ébahi et l'envie enfantine de ce modeste peintre qui rêve de grandeur et dont l'ambition est démesurée. Ainsi, le film est un plaidoyer à cette homme qui finalement ne veut que réussir. Peintre talentueux, il brûle sur un coup de tête toutes ses toiles (dessins de Sfar dans le film). Pianiste d'ambiance au Milord l'Arsouille, il force le destin pour rencontrer le maître Boris Vian pour parvenir enfin dans la sphère intellectuelle du Paris des années 50. Poète pas assez tendance, il décide un jour d'écrire pour des auditeurs pré-pubères et fabrique alors des pommes empoisonnées pour la douce France Gall, ce qui lui permet d'entrer dans le cercle fermée des yéyés. Le succès et la gloire arrivent enfin et à partir de cet instant, Gainsbourg est l'homme le plus désirable au monde et Sfar semble souligner, à chaque plan, qu'il doit tout ça à sa gueule. Sa sale gueule qui le hante depuis l'enfance. L'onirisme fantastique du film repose en majeure partie sur cet autre, ce double omniprésent, croisement magnifique entre le juif caricatural et l'élégance folle de Gainsbourg. Cette tête hideuse qui lui colle aux basques, des cauchemars de l'enfance à la provoc' permanente du Gainsbarre des années 80. Cet autre génie esquissé par le dessinateur Sfar représente en quelque sorte le mauvais côté de Gainsbourg. Il est le démon qui le pousse à plaquer son premier amour, mais aussi à abandonner sa seconde épouse et ses deux enfants, celui qui l'entraîne à pervertir la jeunesse en écrivant des tubes pour des yéyés. Cette ahurissante marionnette ne disparaît qu'à l'instant même où Gainsbourg frôle le bonheur au coté de Jane Birkin, un bonheur bouleversant de simplicité à l'écran. Hélas très vite, Gainsbourg qui, vraisemblablement avait tout pour être heureux se retrouve face à son vieux démon : son autre qui n'est autre que sa triste inaptitude au bonheur. Sur un lit d'hôpital, après sa première crise cardiaque, son autre lui apporte multiples paquets de gitanes. Et Gainsbarre accepte, rit avec cynisme, et repart vers la mauvaise direction : l'anéantissement de Gainsbourg.


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« Ce ne sont pas les vérités de Gainsbourg qui m'intéressent, mais ses mensonges » signe Joan Sfar à la fin de son héroïque récit. Les mensonges de Gainsbourg sont à la hauteur du personnage, épatants de beauté et de tragédie, ils laissent entrevoir la revanche d'un petit garçon qui n'avait rien demandé à la satanée et grande Histoire, un petit garçon qui devient, à force d'être ambitieux, le poète maudit du XXIème siècle. Le conte de Joan Sfar, qui s'avère véritablement être un conte à la « Il était une fois » et au dénouement heureux, offre au public un Gainsbourg d'une émotion rare et exquise par sa capacité étonnante à faire rire et pleurer d'une scène à l'autre. On gardera comme ultime souvenir cette fin, très sage et apaisante, d'un Gainsbourg filant vers le bonheur avec Bambou et son fils Lulu sur une plage « où le soleil est rare et le bonheur aussi ». Une fin traversée par ce constat tragique : le film est terminé, Gainsbourg est parti et le sentiment d'abandon nous envahit. Indéniablement, l'histoire de ce Serge Gainsbourg est indéfiniment à découvrir.

La Bande Annonce :



Tag(s) : #Cinéma
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