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Dans le Paris des années 70, un quadragénaire américain erre, après le suicide de son épouse, entre les pavés d'autrefois et les bâtisses de demain. Dans un appartement bourgeois du XVI ème arrondissement, il rencontre une jeune femme de vingt ans sa cadette. Cet appartement vide va voir éclore une relation intense et déroutante, tumultueuse et inquiétante. Une histoire d'amour sans issue. Film scandaleux et sublime, Le Dernier Tango à Paris secoua les quelques réactionnaires qui subsistaient en cette année 1972. 69, année érotique était bien passée, pourtant Bertolucci rejoua une traversée érotique sublimée dans un appartement à louer d'un chic quartier. Le radeau y prend la forme d'un matelas posé à même le sol, au centre d'une pièce vide, aux murs hideux. Dans la pénombre, l'ombre des corps de Paul et Jeanne s'entremêlent dans des scènes d'une bestialité parfois insoutenable. Bertulocci met en scène le fantasme suprême de l'être humain: faire l'amour avec un être inconnu, un corps étranger, une identité mystérieuse. Hélas, l'être n'est, ici, pas quelconque, il est icône de cinéma depuis sa tendre jeunesse. Figure emblématique des studios hollywoodiens, son regard de braise et sa virilité indéniable en a émoustillé plus d'une.  A  s'attendrir devant le monstre de cinéma et la carrure de cet homme, à observer Brando, ses yeux, son corps, sa masculinité extrême, on doute que le film ai produit le même effet sans sa présence. Il hante la pièce comme un sauvage, saisit Maria Schneider avec intensité et séduit même avec les pires obscénités. En initiant la très libérée Maria Schneider à ce rituel érotique au dénouement funèbre, il initie son spectateur à un questionnement existentiel saisissant dans une période charnière, celle de la décennie 70.


 



A l'époque,
Le Dernier Tango fit scandale pour des scènes hard où une plaquette de beurre réussit  même à devenir mythique. Aujourd'hui avec le recul et ses splendides travellings arrières, Le Dernier tango apparaît comme une œuvre somptueuse. Une réalisation éclatante de beauté et d'intelligence, où le sexe n'est que prise de conscience face au drame de cet homme, au nihilisme subjuguant. Ces deux êtres échoués à Paris, l'un avec l'envie féroce de vivre et l'autre avec l'exigence de survivre, troublent par leurs pulsions et leur commune descente aux enfers. La liberté démesurée de Maria Schneider, à la sensualité endiablée, fait face à l'ignoble misogynie d'un Brando dominateur. Dans le duel passionnel qui se joue dans les différentes pièces de cet appartement vide où s'affrontent l'absurdité de l'existence et le besoin barbare de vivre, Jeanne et Paul livre des scènes monumentales où Marlon Brando devient grand méchant loup et Maria Schneider petit chaperon rouge. La fusion sexuelle ne fait que dissimuler le mal être omniprésent de cet homme, aux troublantes similitudes avec un autre personnage mythique de Brando. Comme Stanley Kowalski, Paul porte en lui cette vulgarité récalcitrante et incontestablement attirante pour Jeanne. Prévu au départ pour le séducteur de ces dames Jean Louis Trintignant, le rôle est finalement confié au rebelle Marlon Brando. L'acteur s'y jette avec rage et se laisse emporter dans les tourments d'un cinéma confession où il livre, à coup de répliques ambiguës, une réalité n'appartenant qu'à lui. Sex-symbole de la puissance masculine en perte de vitesse, Brando se dévoile à demi-mots dans cette scène où il interdit à Jeanne de prononcer quelconques noms ou quelconques souvenirs. Lui dit avoir eu bien assez de milliers de noms, et préfère être innommable, une plainte certainement dû à la lassitude de tous ces noms de personnages qui s'affrontent encore en lui. Dans un long monologue déchirant, Brando parle à cette femme qu'il a aimé et qui lui a menti. Morbide et pathétique, avec le cadavre de cette femme ultra-maquillée et encerclée de fleurs qui écoute la plainte déchirante d'un homme trahit et désespéré, la scène se transforme en grand moment de cinéma. Scène douloureuse où Brando redevient l'élève de l'Actors Studio, laissant aller son talent extraordinaire de l'improvisation et de l'émotion. Scène vérité où il n'y a plus de frontière entre l'être joué et l'être existant. Brando se confie, contant les souvenirs inavoués d'une enfance blessée et traumatisante. L'interprétation reste, des années après, magistrale.


Hélas l'expérience primitive de ces deux êtres que tout opposent est inévitablement promis à une fin tragique. "C'est beau sans savoir rien de l'autre" pensait bêtement Jeanne. C'était beau, certes, mais cela  menait tout droit à l'échec. L'échec de la dernière danse, un dernier tango où le héros viril, rongé par l'alcool et la folie, perd le sens des pas et du rythme. Ultime danse loupée, le héros n'est plus immortel. Paul quitte la scène. Jeanne, seule survivante de la passion destructrice qui s'est jouée dans le vide de l'existence, s'interroge sur l'identité de cet homme qui n'est plus de ce monde. Bertolucci abuse des travellings arrières, des plans en retrait, de la pénombre et des visages incertains qu'elle crée, pour mieux poser cette question de l'identité: qui sommes-nous et quelle est la véritable nature qui nous agite?


Tag(s) : #Cinéma
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