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On la croise partout. Sur les Tumblr en provenance des quatre coins du monde. Dans la mémoire de cinéphile qui n'ont guère connu son époque. On la remarque au détour d'un avatar Facebook, d'une recherche Instagram, dans l'interview d'une jeune actrice évoquant ses modèles de cinéma. On la contemple l'instant d'un plan, d'une chanson, d'une ligne de hanche, d'une larme ou d'un travelling godardien. On l'aperçoit et on en tombe follement amoureux. Comme tous les hommes de pellicule qui l'ont croisée dans le cinéma de Jean-Luc Godard. Comme le cinéaste croisant le regard de la Danoise et entendu son accent. Des hommes complètement dingues de cette Nana. Tous. De son regard irrésistible en gros plan. Sa spontanéité délicieuse quand elle dit cette chose interdite au cinéma sur le sable de Porquerolles à son Pierrot ou quand elle interpelle le spectateur en voiture aux côté de ce cher Ferdinand. On sait deux ou trois choses d'elle, pas plus. Pour la légende,  Anna Karina a volé son prénom de star de cinéma à une grande héroïne de la littérature russe. Une autre Anna, celle de Tolstoï, une Anna passionnée, libérée et moderne. Pour vivre sa vie, Anna fera du cinéma mais pas avec n'importe qui. Avec lui : Jean-Luc Godard, l'enfant terrible de la Nouvelle Vague. Il sera son âme sœur. Pour un temps dans la réalité. Pour toujours dans la fiction.

Ode à Godard et sa nana Karina

« La photographie c'est la vérité et le cinéma c'est 24 fois la vérité par seconde » (Le Petit Soldat,1960)

Première pièce du puzzle d'un Godard militant, soumis à une valse-hésitation entre la démarche intellectuelle et l'action révolutionnaire, Le Petit Soldat annonce à l'aube des années 60 le Godard marginal des années 70. Réalisé avant À bout de souffle, mais censuré jusqu'en 1963 par le pouvoir gaulliste, ce Petit Soldat traite d'une guerre honteuse : la Guerre d'Algérie. Godard a 30 ans quand les « Événements d'Algérie » agitent l'hexagone et sa colonie. L'âge clé pour la question existentielle : « Quel est mon rôle dans ce monde ? ». C'est la question que se pose son héros; Bruno Forestier (Michel Subor). Photographe pour un journal suisse, il est aussi membre d'un réseau d'extrême-droite en lutte contre le FLN. Ses amis le soupçonnant de pratiquer un double jeu, Forestier sera mis à l'épreuve de la pire des manières : il devra tuer un homme... Motif bien godarien.

C'est dans cette fable politique, où le cœur d'un petit soldat du monde moderne balance entre anarchisme de droite et militantisme de gauche, qu'apparaît pour la première fois le visage d'Anna Karina. Le Petit Soldat conte la rencontre en temps réel du réalisateur et de sa future muse. La jeune Anna Karina interprète ici Veronika, une jeune fille dont le rêve est de devenir actrice et qui, pour l'instant, joue les modèles pour l'objectif de Forestier. Mise en abyme curieuse d'une muse qui s'amuse à exécuter les poses demandées par le héros... ou par l'homme derrière la caméra. L'actrice comme son personnage pense en silence, regarde comment ce cinéma-là fonctionne, bouillonne, réfléchit sur lui-même à chaque seconde. Anna sera l'héroïne, l'inspiratrice de ce cinéma-là. « Le charme de Veronika c'était elle-même, la courbe de ses épaules, l'inquiétude de son regard, le secret de son sourire » raconte le héros au spectateur. Mais le spectateur le sait, c'est Godard qui parle, qui fixe des mots sur ses émotions face à cette beauté rare qui a « les lèvres de Leslie Caron ». La romance débute en noir et blanc dans ce premier film en commun, elle s'achèvera sept ans plus tard dans des couleurs explosives.

« Il ne faut pas badiner avec l'amour » (Une Femme est une femme, 1962)

« Redeviens la petite fille qui m'a donné tant de bonheur » chante Aznavour pendant qu'une drôle de fille, l'air espiègle, déambule sur les trottoirs parisiens. La fille en question c'est Angela (Anna Karina), une jeune strip-teaseuse qui se met en tête d'avoir un enfant là, tout de suite maintenant. Sauf que là tout de suite maintenant, Émile son bien-aimé (Jean-Claude Brialy) n'en veut clairement pas. Alors après s'être aimés, ils vont se chamailler sous la caméra ludique et chromatique de Godard. « Est-ce une tragédie ou une comédie ? » demande le trio infernal formé par Brialy-Karina-Belmondo. C'est avant tout, un dilemme universel, où la femme (Karina) demande « Pourquoi se sont les femmes qui souffrent ? » et l'homme (Godard) répond : « Parce que c'est elle qui font souffrir ! » .

Duel en gros plans, en répliques et en chansons du quotidien de la muse et du pygmalion, Une Femme est une femme brille par sa légèreté, émeut pour son réalisme. Sous ces néons rouges et jaunes clignotants, derrière ces danses à la Gene Kelly chez Vincent Minnelli, il y a l'affreuse réalité. Pendant le tournage, Anna Karina tombera enceinte de Jean-Luc Godard. Quelques mois plus tard : fausse-couche. Cette seconde collaboration,ce premier film en couleurs, se contemple donc avec une double nostalgie, un regret éternel face à ce cinéma déjà envolé et face à cet amour déjà sur le point de se briser. Godard maîtrise son spectacle à défaut de maîtriser sa vie. On ne sait trop si on doit rire ou pleurer. Une Femme est une femme incarne ce subtil équilibre de la vie, égarée entre la tragédie et la comédie, entre les larmes et le rire, entre la femme et l'homme. « Il ne faut pas badiner avec l'amour » préconise l'héroïne. Trop tard répond la caméra de Godard qui badine déjà avec ce sentiment si précieux, si cher à Karina dans la réalité. Avec le passé, l'histoire enseignée avec le temps, on pourrait dire qu'il agite sa bien-aimée comme un pantin, la déshabille comme une putain, la ridicule comme une enfant. Mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il badine juste avec sa grâce envoûtante et inventive. Une grâce si puissante qu'il est impossible de ne pas apercevoir l'âme d'Anna Karina dans le visage d'Angela et la pensée de Godard dans les actes d’Émile.

« Nana fait de la philosophie sans le savoir » (Vivre sa vie, 1962)

Il y a eu la Nana de Zola, puis celle de Renoir, il y aura à partir de 1962 la Nana de Godard. Tel un peintre qui compose des toiles, tel un écrivain qui compose des chapitres, Godard compose son Vivre sa vie en douze tableaux. Nana (Anna Karina) gagne difficilement sa vie dans une boutique de disques. La séparation avec son compagnon Paul et le manque d'argent la contraignent à se prostituer. Dans le Paris des années 60, Nana devient une putain à la recherche (perdue?) des raisons pour vivre. Elle se balade dans la capitale, traîne dans les cinémas, rêvasse dans les cafés et collectionne les clients. Nana est belle à en crever, d'une beauté triste, et ce n'est pas son corps de putain qui charme, c'est son regard bouleversant sur la vie, sur cette chose que l'on doit vivre sans en connaître le but et les obstacles à venir. Un Godard pessimiste où il n'est pourtant question que de vivre à en crever.

Existe t-il plus beau titre de cinéma que celui-ci : « Vivre sa vie » ? Vivre sa vie comme on l'entend partout, au cinéma et en dehors. Vivre sa vie envers et contre tous comme l'héroïne de Godard. On considère souvent Vivre sa vie comme l'un des plus beaux Godard. Une beauté discrète, presque invisible, s'immisce dans chaque tableau. L'un d'eux dit « Nana fait de la philosophie sans le savoir », et c'est toute l'œuvre du cinéaste qui s'explique. Devant un Godard chacun fait de la philosophie sans le savoir, pour paraphraser le philosophe que Nana rencontre dans le film, on peut même dire que devant un Godard, et celui-ci en particulier : « On pense avec la vie, les servitudes de la vie, les erreurs de la vie et faut se débrouiller avec ça ». « Penser » ne serait-il pas l'acte premier du cinéaste ? Godard fait penser sa Nana, il la modèle même à sa pensée. Comme tous les films de la période Karina, Vivre sa vie nous raconte quelque chose de la vie du couple Karina-Godard. Ce n'est pas un hasard si Nana est l'anagramme d'Anna, si devant des photos d'elle prises par un ami, elle réplique « Je ne me reconnais pas, ça ne me ressemble pas, cela ressemble à toi ! ». Godard est passé par là. Il a sculpté le visage et l'âme de sa Nana Karina à l'image qu'il se fait d'une femme, d'une héroïne, d'un idéal féminin et surtout d'une muse.

« Y'a pas d'quoi en faire un drame » (Bande à part, 1964)

Hommage aux films noirs à l'américaine et aux romans policiers, tant aimés de Jean-Luc Godard et de ses comparses des Cahiers du cinéma, Bande à part parle naturellement de ceux qui font « bande à part » dans la vie... comme au cinéma. Ceux-là se prénomment, dans ce nouvel épisode godarien : Arthur, Frantz et Odile. Autrement dit : Claude Brasseur, Sami Frey et Anna Karina. Si dans À bout de souffle, Belmondo vouait un culte à son « pote » Humphrey Bogart, le formidable trio de Bande à part voue un culte aux petits malfrats qui fourmillent sur le grand écran américain. La frontière est mince entre la réalité et la fiction, alors la fine équipe décide de s'improviser équipe de gangsters comme leurs héros de pellicule le temps d'un vol chez une vieille dame où travaille Odile. Hélas, l'opération ne se passera pas aussi bien qu'au cinéma...

Attendrissante danse à trois constituée de sentiments, d'airs de jazz et d'un amour démesuré pour la fiction, Bande à part s'amuse avec la principale caractéristique du cinéma de Godard : incorporer la conscience de faire du cinéma dans le cinéma. Pour passer le temps, le trio décide de copier le grand écran. Pour sublimer le temps, Godard décide d'injecter du cinéma dans la réalité. Sa réalité à lui étant le cinéma, il fera de Bande à part « un petit film de série Z » comme ces films américains qu'il estime tant - ironie du sort c'est le film de sa filmographie qu'il jugera le plus regretté. Ici les personnages jouent leur vie, expriment leur vérité à chaque plan et vivent dans l'instant. Jeu inné, mise en scène libérée. Par cette histoire de jeunes gens nourris de Série Noire et d'histoires de gangsters, Godard veut signer une nouvelle rupture avec le cinéma dit classique. Dans son monde, la vie paraît étrangement plus vraie que nature. Dans son monde, la vie ressemble à une improvisation permanente. Odile (Anna Karina) improvise une danse et les hommes (Brasseur et Frey) l'accompagnent avec un naturel bluffant. Encore une fois, les personnages s'éprennent de cette jolie fille indécise et aérienne. Encore une fois, la caméra la poursuit. Encore une fois, le cinéaste n'a d'yeux que pour elle. « Une jeune fille romantique » profondément à part. Cette fille dans la vraie vie, hésite alors entre son Godard et l'acteur Maurice Ronnet. Comme Odile dans le film.

« Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale » (Alphaville, 1965)

Dans le Paris des années 60, un agent secret venu des Pays Extérieurs, Lemmy Caution (Eddie Constantine), infiltre une ville inhumaine baptisée Alphaville. Dans cette contrée désincarnée, l'homme est chargé d'abattre le professeur Leonard Nosferatu, l'inventeur de l'Alpha 60, un ordinateur fasciste qui commande les habitants de ce sinistre endroit aux allures du 1984 d'Orwell. À Alphaville, deux choses sont habilement bannies : l'amour et le pourquoi. Dans cette dictature futuriste, fortement inspirée des totalitarismes de tous temps, le héros de Godard s'éprendra de la jeune fille de l'ignoble professeur, une certaine Natasha Von Braum (Anna Karina). À celle-ci, il enseignera la beauté du verbe aimer, et la grâce de l'inoubliable Capitale de la douleur de Paul Éluard.

Godard insolite, conjuguant le charme noir d'un film policier et l'angoisse revigorante d'un film d'anticipation, Alphaville régale l'intellect de ses spectateurs. Le cinéaste y interpelle sans cesse le mécanisme de la pensée de ses interlocuteurs, truffe son récit de références culturelles prolifiques (Cocteau et Éluard en tête) et apprend à son héroïne la définition du verbe aimer, elle qui ne connaissait que le principe de soumission dans son monde sans émotion. Ce monde est celui qui se dessine en France dans les années 60. Godard visionnaire le dénonce en utilisant son outil favori : le cinéma engagé. Un cinéma où la critique des régimes totalitaires est poétisée par un esthétisme permanent et singulier. Un esthétisme où la réflexion se faufile à chaque plan. Dans un noir profond, l'énigmatique Lemmy Caution tente de sauver la jeune Natasha, un sauvetage in extremis qui passe par la lecture de fragments de Capitale de la douleur. Comme souvent dans l'univers de Godard, l'art, et plus particulièrement la force des mots, est nécessaire à la survie d'une chose si précieuse. Cette chose si précieuse pourrait vraisemblablement se prénommer Anna. Comme dans bons nombres de leurs collaborations cinématographiques, l'homme tente de tisser un lien fort avec la femme par la lecture. Tente de la sauver par la littérature. En vain.

« Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerais toujours ô mon amour » (Pierrot le Fou, 1965)

Film d'aventure et roman d'amour comme l'annonce son excellente bande-annonce, œuvre philosophique et prolifique, Pierrot le Fou ne se raconte pas : il se contemple, il se vit. Jamais à bout de souffle, Pierrot et sa Marianne (Jean-Paul Belmondo et Anna Karina) sont deux amoureux criminels désireux d'en finir rapidement avec la médiocrité du monde. Alors ces deux-là quittent Paris pour fuir vers le sud, le soleil, l'éternité. Une course nécessaire et fatale vers la mort. La cavale est spectaculaire, entre-coupée de peintures de Vélasquez, des voyelles colorées de Rimbaud, du cinéma noir d'Howard Hawks. Pierrot écrit des pages et des pages de réflexions sur la vie pendant que Marianne chante sa « Ligne de chance » avec une désinvolture charmante. Et Godard, lui, joue les démiurges en filmant ce couple mythique dans un monde où tout est propice à l'art, un monde où « l'amour est à réinventer » et où « la vraie vie est ailleurs ».

Pierrot et sa Marianne viennent boucler un pan de l'histoire godardienne. Ils sont là pour terminer une exquise histoire débutée cinq ans auparavant. L'histoire cinématographique de la Nouvelle Vague. L'histoire amoureuse de Godard et Karina. Nous sommes en 1965, et la romance touche à sa fin tandis que la société française ne va pas tarder à imploser en plein vol. Godard visionnaire ressent le besoin de changer d'air et compose ainsi Pierrot le Fou, partition haute en couleurs et en vers. Adieu avoué à son épouse et égérie Anna Karina, adieu flamboyant à la Nouvelle Vague, départ imminent pour un cinéma dit politique qui débutera avec La Chinoise. Pierrot le Fou c'est l'œuvre mémorable, la plus godarienne de tous les Godard, la plus Karinienne de tous les films d'Anna. Assemblage éblouissant de tous les arts chers au réalisateur (littérature, peinture, musique, cinéma), Pierrot le Fou est l'œuvre supérieure car totale. Il y avait la fraîcheur d'À bout de souffle, la perfection du Mépris et il y aura dorénavant la liberté subjuguante, la beauté stupéfiante de Pierrot le Fou et de sa Marianne. Marianne Renoir, une drôle de fille qui reproche sans cesse à son Pierrot de lui « parler avec des idées », quant elle parle « avec des sentiments ». Sous le soleil méditerranéen, Pierrot recherche « un peu de beauté dans un monde d'abrutis » en dévorant des livres et causant peinture. Hélas, Marianne sa compagne d'escapade vers la mort est peu sensible à cette poésie, préfère les disques et les arts mineurs. Ce n'est pas une charmante petite idiote comme le cinéma a coutume d'en produire, plutôt une fille faite pour la vie sans ses questions, à l'inverse de Pierrot. Le couple Belmondo/Karina (comprenez Godard/Karina) n'ont alors pour solution que cette chute irrémédiable vers la mort. Karina chante la mort d'un amour (« Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerais toujours ô mon amour ») et Godard, lui, filme l'adieu à son amour. À son cinéma. A son idée du couple.

« Il faisait un temps à mettre une caméra dehors et à faire un film en couleurs » (Made in USA, 1966)

Virage décisif dans l'œuvre de Godard, Made in USA annonce l'ère militante du Godard des années 70, bâtie sur la devise : « Faire politiquement du cinéma politique ». La politique est partout dans cette adaptation du roman noir de Richard Stark, Rouge, blanc, bleu. Godard prend ses aises avec cet écrit, dont il conserve tout de même la trame. Expérience d'un cinéma déstructuré et coloré, Made in USA est selon lui : « un Walt Disney avec du sang ». Paula Nelson (Anna Karina) débarque à Atlantic City pour enquêter sur la disparition suspecte de son amant, un militant communiste. Dans cette explosion tapageuse de collages, couleurs et citations godariennes, Anna Karina hait la police et a envie de vomir face aux magouilles politiques. Nous sommes en 1966, deux avant avant mai 68, trois ans avant l'été 69, Godard, cinéaste de tous les temps, capte les bouleversements d'un monde déréglé avec sa règle d'or, celle des trois « PO ». Made in USA sera un film « po »étique, « po »licier et « politique » !

L'aventure amoureuse et cinéphile d'Anna Karina et Jean-Luc Godard trouve sa fin ici, dans cette histoire pleine de bruits et de fureur. Une histoire en séquences et en gros plans où le maître rassemble toutes les strates de son langages : travellings, tragédie, citations, documentaire, policier, comédie, cut-up, distorsions et le visage d'Anna convoquant tous les autres visages godariens qu'elle a auparavant incarnés. Dans un univers néfaste et assourdissant, Paula/Anna cherche en vain la trace de cet amant. Elle est de tous les plans et tous ces plans, tous ces hommes, ne désirent encore une fois qu'elle. Ce n'est certainement pas un hasard si c'est Jean-Luc Godard qui prête sa voix à l'amant disparu. Sur une bande magnétique, il continue à la hanter, à lui causer politique, philosophie, art... amour. Mais il est déjà trop tard pour ces deux êtres de cinéma. L'incompréhensible de la vie les rattrape pour mieux les séparer à jamais.

« Tout ce que je pouvais donner c'était des films »

Après sept films, sept ans de vie commune et des milliers de plans de l'émouvant visage d'Anna Karina, le couple se sépare à la vie comme à l'écran. Au fil de ces sept récits filmiques une certaine idée du cinéma s'est dessinée, et bien au-delà une certaine conception de l'amour s'est développée. L'amour à la Godard : compliqué, romanesque, déraisonné et inévitablement douloureux. Des dialogues godardiens s'échapperont un portrait a priori peu reluisant de l'héroïne. Dans un interview pour Pierrot le Fou, Anna Karina définit son rôle de Marianne par des adjectifs qui colleraient à toutes les héroïnes du cinéaste "elle est méchante, vicieuse, romantique, sentimentale, spontanée". La femme chez Godard est une ravissante petite idiote qui préfère parler de sentiment que de politique ou d'art, ce que l'homme chez Godard lui pardonne rarement.

 

De son histoire avec Karina, Godard dira sur le plateau d'Ardisson, 20 ans après la fin de leur couple : « C'est une erreur, mais une erreur séduisante ». Et c'est toute le paradoxe du maître qui refait surface. Car malgré ces abjectes généralités, sa caméra fait émerger une femme libérée qui dit à son Pierrot "je t'embrasse partout" ou un "baise-moi" inaudible sur une plage, meneuse d'hommes, sentimentale mais parfois sans cœur, en marge du cinéma de l'époque mais tôt ou tard bel et bien de son temps. Jamais la muse ne sera aussi merveilleuse que sous la caméra de son pygmalion, même si elle brillera chez Rivette ou Visconti. Une beauté du plan, une manière de dire « je t'aime ». Un mot d'amour que Godard homme n'arrivera jamais à perpétuer dans la réalité et que le Godard cinéaste fixera à jamais dans l'éternité du cinéma. Et Anna Karina dans tout ça ? Anna, elle, continue de verser une larme émouvante sur cette histoire légendaire mais fatale (voir l'extrait ci-dessous). Cette larme qu'elle a tant versée dans les films de Godard et qui nous a tant émue. 

« Quand la page est tournée, elle est tournée, mais le bouquin est là » dit Godard.

Tag(s) : #Cinéma, #Godard, #Anna Karina, #Truffaut, #Nouvelle Vague
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