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« Chacun à son image de Jane Fonda » pouvait-on lire sur le programme de la Cinémathèque Française en attendant la star américaine pour son master class lundi soir. J’ai repensé à la mienne, chez Godard une fois ou dans les bras de Redford à de multiples reprises. J’ai repensé à la toute première fois où je l’avais vu dans un film, ce visionnage de rattrapage c’était en vérité plus pour voir le garçon avec qui elle partageait l’affiche qu’elle, dont j’ignorais jusqu’ici l’existence. A l’écran, elle voulait être aimé de ce fameux garçon et au passage qu’on cesse de la prendre pour une ravissante petite idiote à l’accent délicieusement américain. C’était en 1964, dans l’objectif de la caméra sensuelle de René Clément. A la fin, féline plus rusée qu’une autre, Jane Fonda triomphait. Plus maline que tous les protagonistes de cette sombre affaire, elle coinçait Alain Delon à son propre jeu, le possédait à jamais dans un grenier, et esquissait en guise de fin le plus puissant des sourires. Celui de la satisfaction. Puis j’ai été forcée de faire taire mon flot d’images et de souvenirs comme si j’avais 80 ans comme elle, parce qu’elle faisait enfin son entrée sur scène, faisant jaillir un sourire de satisfaction sur tous les visages de 7 à 77 ans présents ce soir-là dans la grande salle Henri Langlois. Ces visages qui, un jour, l’avaient tour à tour découverte en fille de, pin up, amoureuse, activiste, féministe, reine du fitness… Découverte de ce corps agité devenu, par la force des choses, un corps agissant.

 

Fuir l'Amérique à papa

 

Le président de la Cinémathèque, Costa-Gavras, assistant de René Clément sur ces Félins, l’a de suite interrogée sur ce premier épisode français accepté par la jeune actrice de 27 qu’elle était alors. Réponse de l’intéressée : « J’ai accepté pour la France, ce qu’elle représentait sa fameuse Nouvelle Vague… et puis pour Alain Delon ! ». Réponse plus qu’acceptée par une assemblée déjà hilare. En vérité, en s’expatriant en France pour ce tournage, Jane Fonda voulait surtout foutre le qu’en, fuir loin de l’Amérique à papa et des rôles de petite « fille sage » et de « cheerleader » que lui confiaient en masse les studios hollywoodiens. Ces studios où l’on se contentait « de filmer comme-ci ou comme ça », expliqua t-elle en faisant des gestes de gros plans ou de plans américains avec ses mains.

 

Jane Fonda aurait pu être un énième produit féminin markété par les studios, filmée comme ci ou comme ça, mais jamais autrement. Enfant de la balle, fille de Henri Fonda et frère de Peter, elle ne se destinait pas à une carrière d’ actrice. Comme pas mal de filles de sa génération, elle a d’abord pris des cours de dactylo, l'incontournable solution d’émancipation de l’époque. Mais l’affaire s’est révélée sans succès pour elle. L’émancipation adviendra autrement...

 

Nous sommes à la fin des années 50, et elle finit sur les bancs de l’Actors Studio. En face d’elle, le maître d'une génération d'acteurs : Lee Strasberg. A Fonda comme à ses autres élèves célèbres - les Brando, Dean ou Newman - il transmet une technique légendaire : un personnage doit être créé à partir des ses propres ressources émotives, de sa propre mémoire affective. Une technique que le père Fonda rejette en bloc. Quand l’actrice est interrogée sur ce mépris (re)connu de l'acteur de légende pour la méthode Strasberg, elle explique que « fouiller son intériorité » n’était pas bien vu par son père, et plus largement par cette génération d’hommes américains qui méprisaient l’émotivité par tradition plus que par conviction.

 

Jane Fonda dans Les Félins de René Clément

Jane Fonda dans Les Félins de René Clément

De la conviction en elle-même, à ce moment là de l’histoire, la future icône en a peu. Dans un français approximatif, elle tente d’expliquer que beaucoup d’acteurs et d’actrices partageaient cette sensation étrange. D’un geste, elle tente de la traduire au public, par une main qui vient scinder son corps en deux pour exprimer ce pile et ce face qui se chahutaient, tentaient difficilement de vivre ensemble. Ce devoir de paraître exceptionnelle coexistant avec cette sensation d’être une imposture. Exactement comme cette Marilyn qu’elle avait croisée dans le rôle de Sugar Kane sur le plateau de Certains l’aiment chaud de Billy Wilder. « C’est comme si la lumière du plateau se baladait en permanence sur elle, partout. De son regard, de son visage, de son corps émanaient une lumière et pourtant en coulisses elle demeurait terrorisée. Elle me faisait l’effet d’une enfant, d’ailleurs nos regards se sont croisés ce jour-là et j’ai eu la sensation que nous étions les seules enfants à se comprendre sur ce plateau » confie t-elle.

 

Casser la poupée 

 

Ne désirant pas rester la simple enfant de son père et encore moins le jouet des studios, Jane Fonda s’expatrie en France au milieu des années 60. Dans une boîte de nuit parisienne, elle rencontre l’homme qui créa Bardot, le jeune loup d’un cinéma français tendance jouisseur : Roger Vadim. Comme souvent au cinéma le scénario n’est pas bien original, il s’agira d’une histoire de créateur sérieusement amouraché et de muse consentante. Quand on l’interroge sur sa vie commune avec ce bon vivant de Vadim, Jane Fonda continue de distraire la foule avec un étonnant « il savait organiser les vacances » suivi d’une énumération de paysages bien français, passant de la montagne à la mer, que sa mémoire livre intacts. Elle oublie de spécifier qu’à l’époque, elle n’apprécie guère qu’on la compare aux autres précédentes épouses blondes et actrices du cinéaste,  alias Bardot et Deneuve. Elle est timide et mal dans sa peau mais ne se gêne pas pour répondre aux journalistes férus de comparaisons qu’elles ne sont pas des blondes interchangeables. La légende veut que ce soit Roger Vadim, ce mari si peu conforme aux traditions bourgeoises du terme, qui façonne l’aura de la Jane Fonda bombe atomique des sixties avec son cultissime (mais poussiéreux avec les années) Barbarella, poupée mythique de (science) fiction, pur plaisir des yeux pour les cinéphiles mâles et idéale inatteignable pour un paquet de jeunes filles en fleurs. Si Jane Fonda semble garder une certaine tendresse pour cet épisode hexagonal, elle laisse néanmoins transparaître sa difficulté à trouver une réponse qui fasse mouche à la question de Costa-Gavras : « Qu’est-ce que Vadim t’a appris en tant qu’actrice ? ».

 

Jane Fonda dans Barbarella de Roger Vadim

Jane Fonda dans Barbarella de Roger Vadim

Au bon plaisir de Vadim, Fonda est devenu un corps de cinéma, sublimé, mystifié, une autre manière d’appartenir à ce que les prudes studios outre-Atlantique auraient voulu d’elle. Un jour, ce corps désiré mais jamais désirant par lui-même implose sous le poids de l’ivresse de la vie avec Vadim, ou de la vie très simplement. Et c’est là où ça devient intéressant, mythique, exemplaire car exceptionnel dans la vie d’une actrice emblématique des années 60. Elle tente d’expliquer à la salle suspendue à ses lèvres et son corps énergique le climat de l’époque : le Paris de mai 68, les mensonges de Nixon, le peuple viêtnamien, les manifs, les discussions avec Simone Signoret à qui elle disait « apprends-moi Simone ! ». D’elle jaillit de grands gestes, des mots qui semblent lutter pour passer en français mais auxquels son corps agité vient en renfort comme pour mimer la force incroyable née de cette période révolutionnaire pour elle, et pour le monde.


 

Tant que vous ne savez pas, vous n’êtes pas responsables, mais une fois que vous savez vous êtes complices des horreurs qui sont en train d’avoir lieu 

Le « meaning », elle le trouve au tournant de la trentaine dans le militantisme. « Tant que vous ne savez pas, vous n’êtes pas responsables, mais une fois que vous savez vous êtes complices des horreurs qui sont en train d’avoir lieu ». Le Flower Power sombre, la guerre du Viêtnam s’enlise et le corps de Jane Fonda s'efface sous les actes, il se mue en corps militant ordinaire à l’aura extraordinaire. Elle abandonne crinière blonde et maquillage excessif pour une coupe brune à la garçonne. Quitte mari pour embrasser ce que certains grincheux appellent l’air du temps. Elle tourne avec le Godard période « faire politiquement du cinéma politique », le Jean-Luc Godard « trop chauvin » à son goût accompagné du complice maoïste Jean-Pierre Gorin « trop fou » à son avis. Le film s’appelle Tout va bien et date de 1972 – et est toujours cruellement d’actualité. L’expérience avec le plus ingénieux des suisses français ne se passe pas très bien mais elle a au moins le mérite d’offrir à Jane Fonda la possibilité de faire du cinéma engagé en France. Cette nécessité elle l’a découvert en 1967 sur le tournage de Que vienne la nuit d'Otto Preminger sur la question des noirs américains puis avec On achève bien les chevaux en 1969 de Sydney Pollack. Elle n'est finalement pas la fille de son père pour rien. Henri Fonda était certes un taiseux, mais ses rôles parlaient pour lui, il était l'homme en colère des Raisins de la Colère de John Ford. Sa fille avec qui il ne savait pas échanger, reprendra le flambeau, et ce pour le reste de sa vie.

Jane Fonda dans Tout Va Bien de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin

Jane Fonda dans Tout Va Bien de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin

Devenir une icône iconoclaste

En quelques années seulement, Jane Fonda comme bons nombres de citoyens du monde s'éveille à cette bonne vieille planète. S'agite pour toutes les causes que les dirigeants de l'époque rejettent en bloc. Peuple viêtnamien, noirs américains, amérindiens, féministes, elle s'active en coulisses ou sur scène pour récolter argent et écoute pour tous ces citoyens de seconde zone aux Etats-Unis et plus particulièrement pour ce peuple qui meurt au Vietnam, meurtre maquillé par les mensonges du président Nixon. A cet instant du récit, Costa-Gavras revient sur la fameuse photo d'elle à Hanoï en 1972, pris en photo et surtout pris en flagrant délit d'anti-patriotisme pour la classe politique américaine et une bonne partie du peuple américain. Elle est photographiée assise sur le siège d'un canon anti-aérien nord-vietnamien, coiffée d'un casque militaire. Une erreur de pose mais pas de combat reconnait-elle des années plus tard : "Je voulais dire combien Nixon nous mentait, que des vietnamiens comme des américains mouraient à cause de ces mensonges". Une certaine partie du pays lui tiendra rigueur de ce geste de trop. Elle explique qu'après tous ces combats, le cinéma n'était plus pareil pour elle. Les militants lui demandaient de continuer à tout prix de poursuivre sa carrière car elle était l'un des "rares porte-voix célèbres" de ces mouvements. Le monde du cinéma, lui, ne lui demandait plus grand chose, il lui faisait payer l'image de trop, l'image de ce corps agité devenu agissant. Agissant contre un monde néfaste, un monde d'hommes. "Quand vous avez compris l'impérialisme américain, vous compreniez ensuite tout, tout ce qui en découlait, le capitalisme, le racisme, le patriarcat" explique t-elle à ces deux hommes intervieweurs sur scène et cette salle cherchant à comprendre ce précieux instant de bascule. La star des sixties y est devenue une anti-star des seventies, plus attachée à la vie des combats qu'à celle du cinéma. Il sera difficile pour elle de revenir à cet art parce que, selon ses propres dires, "tant que tu ne fais rien, que tu restes dans ton coin, tous les gens t'aiment bien, mais si tu l'ouvres un peu trop, si tu bouges trop par contre tu attires les critiques et les haines". Analyse valable à toutes les époques.


 

Quand vous avez compris l'impérialisme américain de l'époque, vous compreniez ensuite tout, tout ce qui en découlait, le capitalisme, le racisme, le patriarcat

Celle du moment laisse l'éternelle activiste inquiète. Quand elle parle du présent contrairement à un paquet de vieux acteurs sombres parce que nostalgiques de leur heure de gloire, Jane Fonda devient sombre pour d'autres raisons. Pour les mêmes causes qu'autrefois, le même désir de justice. La seule différence est que son humour a déserté son flot de paroles, son sourire avec. Sinon rien ne semble avoir bougé d'un iota. Ces combats d'antan ont juste de nouveaux noms. Son Nixon est Trump, son Viêtnam, le changement climatique, la libération des femmes, le mouvement #MeToo. "Aujourd'hui j'ai peur, plus peur que jamais car c'est peut-être irréversible" confie t-elle dans les dernières minutes de son interview. Costa-Gavras ajoute qu'elle a accepté l'invitation de la Cinémathèque "si seulement elle pouvait être rentrée pour les Midterms", l'élection cruciale américaine de début novembre pour renouveler ou non le Congrès. Elle soutient que c'était inenvisageable pour elle de ne pas être en Amérique pour cette date, qui peut jeter un peu plus vite son pays au coeur d'un scénario encore plus sombre, notamment pour tous les citoyens dont elle a défendu les droits pendant toutes ces années. A l'entendre parler, il semble lui rester du boulot.

 

Lors de la traditionnelle séance de questions-réponses, quelqu'un lui expliquera l'avoir découverte récemment à travers la série Grace&Frankie - série diffusée sur Netflix - et découvrait alors ce soir-là à la Cinémathèque le pan entier de sa vie dédiée aux autres. Preuve que les militants des années 70 avaient bien fait de pousser Jane Fonda à poursuivre le cinéma, à entretenir l'image de l'icône. Car cette image de cinéma , si trompeuse et réductrice qu'elle soit - surtout pour une femme - a permis, permet encore l'écho puissant de l'icônoclaste Jane Fonda, celle qui est porte-voix d'une rébellion contre un ordre établi depuis des lustres. Une icône iconoclaste qui, par son  activisme, son affranchissement du père,  des hommes, du cinéma a trouvé sa raison de vivre. Une leçon de vie plus que de cinéma en somme.

 

Rétrospective Jane Fonda à La Cinémathèque jusqu'au 5 novembre

Tag(s) : #Cinéma, #La Cinémathèque, #Jane Fonda
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