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Il y avait Véronique badass devant l'éternel, Françoise et ses amours éternels, mais jamais France en boucle. J’aimais déraisonnablement la fureur de vivre de la première, le sentimentalisme mélancolique assumé de la seconde, et pour justifier ces passions musicales pour ces dames d’un autre temps, je délassais avec fierté la dernière et l'égratignait si possible. Comme si aimer les trois s'avérait intolérable. Un jour j'ai écrit dans un papier sur Françoise pour Retard Magazine :

« Françoise, c’est pas France la niaise (Gall) qui ne comprend pas les sucettes qu’on lui fourre dans la bouche »

Comme souvent, pour un bon mot, j’ai donné un coup inutile. Il y a quelques jours,  cette autre a tiré sa révérence face à ce monde égoïste, absence soudaine me faisant réaliser la disparition imminente des deux autres aux antipodes pourtant - Véro, Françoise, je vous en supplie : résistez. Twitter et Instagram se sont alors métamorphosés en gigantesque page obsèques. La routine, tu me diras. Cette étrange épidémie lassante et réconfortante à la fois. Ce seul truc qui semble nous rassembler, l’amour en commun, l’affection pour un passé solitaire devenu soudainement collectif. Tout le monde évoquait ses vacances sur les routes de France avec France dans l’autoK7, la France des yéyés puis la France de Berger. Un morceau de l’histoire de France et de l’enfance pour beaucoup s’en est allée avec France. Pour moi, enfant de la fin des eightees, France ce n’était que cette fille qu’on écoutait dans deux occasions particulières : 1/ amoureuse d’un égoïste 2/ ivre en soirée et en karaoké de préférence. Parfois les situations 1 et 2 devaient se vivre en même temps et l’instant se métamorphosait alors en horrible punition pour les gens présents - n’est pas France qui veut.

Plus haut de France Gall - clip de Jean-Luc Godard

Plus haut de France Gall - clip de Jean-Luc Godard

Je ne connais pas grand chose de cette France que je chantais avec quelques grammes d’alcool dans le sang. Enfant j’adorais bêtement cette histoire de sucettes que Dieu Gainsbourg lui avait mis en bouche sans soupçonner l'entourloupe en bonne niaise que j'étais. Puis jeune adulte cette histoire de Baby Pop pauvre gosse qui devait chanter et danser comme si au petit matin elle devait mourir - Gainsbourg toujours. La baby pop France Gall a été annoncée morte un petit matin il y a quelques jours. Et quand le passé te paraît un poil meilleur - déformation mélancolique de base - tu réalises que les deux occasions particulières où tu écoutais du France Gall représentaient finalement pas mal de temps dans une vie. A la fracture d’égo et du coeur - l’un allant rarement sans l’autre - succède souvent bombage de torse pour démonter la vie et le monde égoïste. Résiste, c’est la vie, c’est la vie, on y pense et puis on oublie. La discographie de France Gall niveau sous texte - excepté les sucettes à l’anis de Gainsbourg - n’avait rien d’exceptionnel, à l’inverse de Françoise et de Véro. Et pourtant après coup, elle avait tout ce que les autres ont rarement - en tous cas les deux dames citées plus haut - : un esprit variet' à l'état pur, sans sous-texte justement mais avec ce qu'il faut de profond là où il faut. France Gall, d’abord jolie poupée, de son égayait le monde puis chantait « toutes ces questions qui ne tenaient pas debout » de la manière la plus profonde possible. Et juste pour ça, vois-tu, je regrette mon « niaise » du début. 

Si France Gall appartenait à la génération âge tendre et tête de bois, elle a su prendre le train suivant quand l’immense majorité est restée coincée dans le wagon arrière, à jamais second rôle sur la fameuse affiche du SLC. Sur les bandes magnétiques un peu folles des Trente Glorieuses et plus encore, elle a chanté sous De Gaulle, Pompidou, Giscard et Mitterrand. Elle a embrassé les styles yéyé, pop et rock. Elle a fait dansé jeunes adultes, jeunes adultes devenus parents, et les enfants de ces derniers, tu me suis ? Inutile d’énumérer le nombre de chansons, de concerts, d’albums, de disque d’or. Les chiffres on s’en tamponne ici. Ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est ce que France Gall a offert pour panser la fracture d’égo et décupler le bombage de torse et la confiance soudaine en l’instant. Deux sentiments procurés par la chanson, par cet art soi-disant mineur. A 20 ans ou à 40, les chansons joyeuses ou chagrines de France Gall adoucissaient la vie pour quelques minutes d’un titre arraché à la radio, quelques heures de concerts ou de show TV chez Maritie et Gilbert Carpentier. Elle incarnait pleinement ce que disait Mathilde alias Fanny Ardant dans La Femme d’à côté de François Truffaut 

« J’écoute uniquement les chansons parce qu’elles disent la vérité,
Plus elles sont bêtes, plus elles disent la vérité
D’ailleurs elles ne sont pas bêtes 
Qu’est ce qu’elles disent ?
Elles disent Ne me quittes pas, ton absence à briser ma vie, je ne suis qu’une maison vide sans toi, laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre ou sans amour on est rien du tout »

Sans amour et sans cette bande-originale de vie un peu bêbête sur les bords et véridiques en profondeur, on aurait pas été totalement formé et informé des choses de la vie. De celles auxquelles cette fausse ravissante idiote a résisté dans un monde d’idiots. Sans elle, nous n’aurions pas eu des danses effrénées sur des accords yéyé, pop et rock. Sans elle, nous n’aurions pas eu de joie à faire taire les mélancoliques. Sans elle surtout, contrairement à ce que dit le plus souvent l’histoire et la presse en particulier, pas de muse pour Serge Gainsbourg et Michel Berger et par extension surtout sans elle, pas de Gainsbourg, ni de Berger tel qu'ils sont aujourd'hui dans le Panthéon de la chanson française.

 

En 78, derrière un piano, l’auteur des Sucettes accompagné de celui de La Groupie du Pianiste lâchait goguenard « France Gall m’a sauvé j’étais un marginal ». Sans la Baby Pop des sixties, la gentille blondinette a qui l’on collait sur la langue des histoires peu catholiques, pas de Gainsbourg qui sort de son statut de parolier, de compositeur, pas de légende d’homme à la tête de chou. Idem pour Michel Hamburger : sans la Groupie du pianiste pas de Michel Berger chanteur et star des années 80. En trois décennies de chansons, France Gall n'a pas seulement chanté des tubes façonnés pour des karaokés fous et des tubes pour palier les coups de blues. Elle a aussi participé pleinement à l'émergence de deux grands noms de la chanson française. Le bilan chiffré de toute cette histoire ça donne pas une muse et deux musiciens, mais plutôt trois grands noms pour la chanson française. Et vu, le bilan des Victoires de la musique dévoilé, il y a 24 heures,  vous pourrez me faire signe quand il en émergera trois futurs aussi importants. Du genre qu'on se refilera de génération en génération. D'ici là, je peux alterner entre Véronique, Françoise et France.

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