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Quand on suit le Festival de Cannes de loin à travers la petite lucarne, on se demande toujours si les emballements cannois trépasseront une fois projetés en salles. Une fois qu’ils atteindront les communs des mortels, les « non professionnels de la profession » comme auraient dit un redoutable cinéaste. 

 

De mémoire de cinéphile, je n’ai jamais vu ça. Des mois après, en salles, un film sur la mort qui respire la vie coûte que coûte et qui, une fois le générique tombé, la mort arrivée à destination, assister au départ des spectateurs dans un silence de plomb. Non, décidément jamais vu une sortie de séance aussi impressionnante, respectueuse que pesante. Certains avaient sûrement davantage envie de claquer des doigts pour saluer ce film hybride, hymne à la vie, hommage aux disparus et aux survivants, documentaire d’un combat, film engagé à l’esthétique assez au-dessus du lot. 
 

Les claquements de doigts c’était la méthode des militants d’Act Up pour signifier leur adhésion à un propos énoncé en assemblée générale. Ca et un tas de détails encore, Robin Campillo l’apprend à ceux qui n’ont pas connus ce temps, ces années fauves, mitterandiennes, contaminées où le latex s’imposait plus que jamais sur les sexes, où l’on s’allongeait dans la rue pour dire le nombre de mort du SIDA. Je dis « on » mais en vérité il s’agissait surtout d’eux, des malades en première ligne, leurs proches non loin. Les autres pour la plupart s’en foutaient, vivaient dans l’ignorance, comme cette gamine qui dira à des militants Act Up venus sensibilisés les jeunes d’un lycée sur le cinéma qu'elle ne risque pas de choper "cette connerie de SIDA parce qu'elle n'est pas PD". Réplique à laquelle Sean (Nahuel Perez Biscayart) jeune séropositif, militant acharné, héros bientôt mort au combat, répondra par un baiser langoureux échangé avec un nouveau venu dans l’aventure Act Up Nathan (Arnaud Valois), un taiseux au regard malicieux. Le tout devant la jeune fille médusée . 

Du sang, du sperme et des larmes

Scène galvanisante qui annonce l’histoire d’amour et  réaffirme la lutte. Scène forte comme en déborde ce long métrage, le troisième pour le réalisateur passé par la case scénariste auprès de Laurent Cantet notamment  pour Entre les murs. Comme chez Cantet, comme chez Thierry de Perreti dans l’excellent dernier film Une Vie Violente - salué également à Cannes - la parole est remise au centre du film. Jusque dans une scène d’amour, la première fois entre Nathan et Arnaud, où en même temps que leurs corps s’apprivoisent, l’un deux livre le récit de sa contamination. Ici, la parole politique, cet obstacle de cinéma pour certains, se construit sans cesse en parallèle aux actes. L’un ne pouvant vivre sans l’autre. Dès le départ, Campillo montre très bien comment Act Up, réfléchit et agit. Sa scène d’ouverture est double, à la fois dans l’action - une intervention qui dégénère dans une réunion de l'Agence française contre le SIDA - et dans la parole en AG où chacun analyse l’action échouée pour les uns et réussie pour les autres. Scène posant d’entrée ce qui secoue toute communauté militante : le moyen, la violence ou pacifisme pour la cause ? Cette scène en AG plonge le spectateur dans la même situation qu’Arnaud qui débarque pour la première fois chez Act Up. Idée rusée de poser les bases fondamentales pour chacun devant et dans l’écran avec le discours d’accueil d’un militant : « Bienvenue à Act Up, créé en 1989 sur le modèle d’Act Up New York. Ce n’est pas une association de soutien aux malades, mais un groupe d’activistes qui vise à défendre les droits de toutes les personnes touchées par le sida. ». Activiste le mot est posé, dit, répété.

 

120 battements par minute est un moulin à paroles, à regards, à actes, à pensées, c’est un trop plein sans temps morts qui semble combler le vide laissé par les pouvoirs publics et la société en général.  Parfois le spectateur ne peut pénétrer les discussions médicales des séropositifs, sentiments frustrants qui ne peut que traduire la nécessité pour ces hommes et ces femmes de se débrouiller par eux-eux-mêmes car personne ne saisit l’urgence de la situation. A chaque scène, Campillo traduit l’urgence à trouver des solutions au plus vite. Il y a urgence à comprendre la maladie, urgence à lui trouver un traitement, à la terrasser avant qu’elle les terrasse, urgence à alerter sur ses dangers, urgence à dénoncer le silence et le mépris, urgence à danser car danser c'est vivre chez Act Up - les interludes de danse effrénée sur la house de l'époque sont des parenthèses sophistiquées qui viennent structurer le récit, dans ses scènes urgentes et ralenties, la mort plane dans l'air. Il y plus vastement urgence à baiser et à vivre. Car ce film plein de sang, de larmes et de sperme est le récit d’une génération qui jeune adulte à la fin des années 80 n’a pu profiter pleinement des libertés acquises aux décennies précédentes. La hantise flotte comme la maladie qui est dans l’air et que Campillo filme stagnante, inquiétante. Cela n’empêche pas qu’il faut baiser pour sentir encore le sang dans les corps. Jouir jusque sur un lit de mort à l’hôpital. Scène a priori impudique qui en dit tant sur notre époque délibérément frileuse à tout, à la liberté en priorité. Avec lucidité, Campillo filme la liberté, la contradiction désirées des actions hystériques et joyeuses (lors de la Gay Pride notamment) les actions coups de poing (la Seine rouge sang, les cendres d’un des leurs mort au combat jeté en plein banquet d’un labo), mais à la lumière d’aujourd’hui son récit n'est pas seulement un hommage à Act Up où il a milité, où à une époque, dans ce film il dit la platitude de la nôtre, notre frilosité à nous réveiller, à tout juger, à être froissé. Aujourd'hui, rien de ce que cette communauté a osé faire - simplement demander une justice, une main tendue, un désir épris de liberté - rien ne serait toléré. C'est certainement ce qui hurle en nous dans le silence du départ des spectateurs, ce poids des années peut-être...

Tag(s) : #Cinéma, #Cannes, #festival, #Festival de Cannes, #Sida, #Act up, #Robin Campillo
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