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C'est un objet de cinéma. Un pur objet de cinéma. Du genre avec un genre, disons fantastique. Du genre sous haute tension avec grande maîtrise sans traîtrise de l'art. C'est un objet du cinéma qui rappelle combien tout est affaire de moral. C'est un objet de cinéma qui déchirera naturellement la critique, le style clinique très calibré de ce Bonello ne les séduira pas tous. Source d’énième dispute entre modernes et classiques en 2016, à l'aube de l'échéance de 2017. Pourtant ce Nocturama ne fait que réconcilier l'inconciliable : il invite le politique dans le cinéma, sans plomber ce cinéma, le délestant au passage d'un discours militant. Le discours ou plutôt la pensée politique passe par les corps, ces corps qu'on suit dans le dédale d'un monde qui ne veut pas d'eux. Il y a un an tout juste, Les Cahiers du Cinéma s'interrogeait sur le vide politique du cinéma français. Bertrand Bonello – attaqué d'ailleurs dans ce numéro des Cahiers - apporte sa réponse au débat. La société du vide est la matière première de ce film, celle qui déclenche la révolte, il filmera cette révolte sourde, ce désir d'en finir. Ce désir de replacer la chose politique dans le cinéma. Point.

 

 

Nocturama est un objet de cinéma parfois difficile à regarder sans nos yeux de parisiens de 2016. Ayant vécus 2015. Cela n'a rien à voir et tout à voir en même temps. Cette colère sourde qui grimpe dans l'ombre contre ces injustices, cette accumulation des échecs ou ce dégoût des réussites faciles, cette machine folle qui opère, ce désir de détruire, cette trouille dans les couloirs de métro, ces pas pressés sur le bitume parisien, ces lieux emblématiques filmés comme des proies et ces visages qui se croisent. La première partie de Nocturama est effroyablement glaçante pour le parisien. Enivrante pour le cinéphile. Elle est minutée comme un film d'espionnage ou de braquage à l'américaine. Bonello filme les pas pressés, les visages fermés, les sachets récupérés, les portables jetés dans les poubelles. Des actes commis avec une incroyable froideur, ou un désir de le paraître. Un incroyable chassé-croisé dans l'espace et dans le temps que le cinéaste ponctue par des encarts de l'heure ou des flashbacks pour comprendre comment ceux qui se croisent dans la ville se sont rencontrés. Des flashbacks à l'arrache, qui veulent tout et rien dire. Qui disent surtout que la colère est une formidable et terrifiante manière de rassembler. Elle rassemble des jeunes désespérés venus de toutes les catégories sociales confondues. Des jeunes de Saint-Denis, des fils à papa, des précaires comme des bien nés. On ne sait quasiment rien de leur vie, on sait juste ce qui les attend, ce qu'il pense de ce monde qui n'attend pas tout le monde justement. Ils sont animés par une fièvre froide. Pas encore tout à fait des robots prêts à exécuter l'action avec des nerfs d'acier. Certains font des selfies, passent un coup de fil ou se font renverser par une bagnole. Le plan fonctionne pourtant et Bonello en fait un fabuleux split-screen. Une tour explose à la Défense. Idem pour un Ministère. Une dizaine de voitures. Et le visage de Jeanne D'Arc en feu. Fin de la première partie.

Paris est une fête tragique

Début de la seconde dans un bâtiment de nuit. Bâtiment fantôme, habitué aux pas pressés des consommateurs, au bruit des tiroirs caisses et des escalators. La nuit tombée, la Samaritaine accueille la bande de terroristes d'un jour. Quelle meilleure cachette que celle-ci au cœur de la ville, au cœur du système dénoncé, pour reprendre dès le lendemain une vie normale ? La Samaritaine, symbole de la société de consommation, est le théâtre de la vie. En une nuit, ces gamins révoltés peuvent se goinfrer, s'habiller en costard, offrir une bague hors de prix à la bien-aimé, enfiler une robe de mariée, s'envoyer en l'air avec le bien-aimé dans un lit hors de prix, prendre un bain ou jouer avec des Barbies. Ils peuvent même regarder sur des écrans XXL Paris en feu sur BFM TV. Effrayante mise en abîme. « C'est Facebook qu'on aurait dû exploser » lâche l'un d'eux. A l'intérieur pas un bruit, à l'extérieur la ville est sur le qui vive. Nos terroristes d'une nuit se laissent alors happés, vampirisés par tout ce qu'ils rejettent... où tout ce qui les rejettent eux. Une nuit seulement où il leur est enfin permis de jouer avec tout comme des gosses. D'ailleurs l'un des rares à ne pas jouer avec tout est le fils de bonne famille qui a déjà tout eu. Bonello lorgne alors du côté de son Apollonide quelque chose de ouateux se met en place, quelque chose qui chatouille ses protagonistes, un désir de rêver encore ce monde ou de se laisser aller au cauchemar. La peur et le fantastique rôdent à chaque plan. L'un d'entre eux se retrouve face à un mannequin habillé de la tête au pied comme lui. Un autre se retrouve coincé dans les escaliers de secours, il n'est ni entendu par ses camarades et ne peut profiter du spectacle des marques. Un autre prend le risque insensé de sortir dans la rue. Il y fait la rencontre d'une Adèle Haenel fidèle à son phrasé bientôt mythique au cinéma français. Elle lâche un désabusé « franchement ça devait arriver ». Une réplique étonnamment magique car dites sans grande conviction. Ni pour les auteurs du crime, ni pour la société qui pousse au crime.

Paris est une fête tragique

« Ça devait arriver » c'est tout ce que dit Nocturama qui à l'initial devait s'appeler Paris est une fête. Slogan emprunté à Hemingway suite aux attentats de novembre. Paris est une fête, slogan de résistance pour les vivants. Paris est une fête, titre à l'ironie macabre chez Bonnelo. Dans ce temple du capitalisme, les compagnons d'un jour qui ont rêvé d'une autre vie vont mourir ensemble sur la musique des Avengers, le mythique générique de John Barry pour Amicalement Vôtre. The Avengers. Les Vengeurs. Jusqu'au bout, de son montage à sa bande originale, des poses de ses acteurs à leur dialogue minime comme ce « aidez-moi » final, Bonnello dit quelque chose. Le déclin inévitable du monde moderne, évidemment. L'ambivalence qu'il fait naître chez les hommes, sa capacité à le rendre fou ou mouton. Le jeune terroriste issu d'une classe sociale aisée conseillant sa camarade sur le point de tenter l'ENA lui dit « à quoi bon, tu y rentres avec une vague pensée, tu en ressors sans ». Là aussi est tout le sujet de Nocturama, il n'y pas de place pour la pensée dans ce monde d'objets, de biens, de frustration, de queue pour le Pôle Emploi ou pour passer en caisse. Enfin un objet de cinéma qui fait penser, qui fait sens parce que son aspect formel livre une pensée à se fabriquer soi-même. Nocturama provoque le malaise, traduit le malaise de toute une société, de celle qui fut touchée de plein fouet en 2015.

Tag(s) : #Cinéma, #Bertrand Bonello, #Nocturama, #Paris, #Paris est une
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