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« On est des ouvriers ». La phrase est écrite à la va-vite au doigt, sur une fenêtre pleine de buée du bus des grévistes de l'usine PSA d'Aulnay-sous-bois. Juste avant de la distinguer, cette phrase, les yeux embués, on aura vu ces ouvriers se faire embarquer avec force par une troupe de CRS, vêtus de multiples couches de protection comme s'ils se préparaient au combat. On aura vu ce groupe d'hommes non violents faire bloc, bras dessus bras dessous , face à ces hommes en noir venus faire respecter l'ordre. Dans le documentaire de la réalisatrice Françoise Davisse, Comme des lions, actuellement sur les écrans où il tente de survive dans la jungle des sorties ciném, il n'est question que de cela : de l'ordre et du désordre dans la réalité, de courber l'échine au quotidien ou de dévoiler enfin sa colère, de violence visible et invisible, de rendre légitime ce que politiques, médias et patronat ont tendance à pointer du doigt comme illégitime. Comme des lions rend visible l'invisible, et rien que ça, ça fait désordre, ça fait du bien. C'est là son premier mérite, on ne va pas se mentir. Lever le voile médiatique et politique sur le combat au quotidien d'un fragment du peuple, majoritaire hier et dans l'ombre aujourd'hui : le monde ouvrier qu'on tente de fragmenter. Un monde au jour le jour. Dès son premier jour de combat, début 2012 où les syndicats de la boîte ont écho d'un licenciement massif à venir jusqu'à aujourd'hui date à laquelle, si une centaine de salariés grévistes ont gagné la requalification de leur licenciement auprès des Prud'hommes, d'autres salariés n'ont pas été encore reclassés, la documentariste filme la vie à l'usine, une vie que la direction de PSA souhaite ôter à ses salariés. Cette vie est à l'image de toutes les autres. Une affaire d'adversité, de solidarité, d'invidualisme, de courage, de peur, de rires beaucoup et de pleurs aussi. Elle plonge son spectateur dans une vie reléguée habituellement aux reportages annonçant rapidement les licenciements à venir, les bandeaux i-Télé, les tirades politiques avant une élection ou les pages de l'Humanité pour ceux qui le lisent encore. Une vie où dire non, où faire le choix de la grève c'est ne pas avoir de salaire, se serrer les coudes, le faire comprendre à son entourage et accepter de faire primer le collectif sur l'individuel.

Comme des lions

En 115 minutes, Comme des lions résume presque 4 ans de combat. 115 minutes pour voir des gars lutter pour sauvegarder leur emploi. Cet emploi à la périphérie d'Aulnay-sous-bois. Cet emploi dans la grisaille de la banlieue parisienne. Cet emploi où on vous emmène par dizaines de cars, où l'on accède par RER. Cet emploi que certains ont depuis 30 ans, 10 ans ou moins. Cet emploi qu'on se refile de père en fils, ou d'époux en épouse. Cet emploi pour gagner de l'argent et tout juste vivre. Cet emploi dont on est fier. Ces gars, jeunes et moins jeunes, timides ou grandes gueules, syndiqués ou non, ces gars vont tout faire pour le conserver puis pour conserver leur dignité. On dit « ces gars » car les filles sont en minorité à l'image et encore plus à l'usine. La caméra s'incruste dans les réunions des syndicats, dans les chaînes de production, dans les actions à Paris, à Aulnay ou partout où il faut débarquer à plusieurs, en force pour dire « regarder ce que la direction fait, regarder ce contre quoi le gouvernement ne fait rien ». Là où elle s'incruste, cette caméra pas intrusive du tout, ça gueule, ça s'interpelle par des « camarades » d'un autre temps mais vivifiant, ça parle « des copains », ça vote pour ou contre, ça bouillonne intelligemment sur les actions à mener, ça fait trois pas en avant ou trois pas en arrière, ça se repose rarement, ça tente au mieux de survivre quand en plus de supprimer des emplois, la direction veut casser la grève. Mieux que de pointer les sempiternelles – et passionnantes discussions entre grévistes – Comme des lions s'évertue à témoigner du climat abject en tout point qui s'étend du début à la fin de l'affaire Aulnay. Si les travailleurs sont prêts à "se battre comme des lions" comme le signale le t-shirt d'un gréviste, ils sont à Aulnay dans l'usine comme des lions en cage, presque prêts à se dévorer entre eux. Quelques scènes poignantes et non larmoyantes – la précision a son importance – mettent intelligemment le point sur l'atmosphère ignoble mis en place par la direction. Un grand classique pour casser la lutte : semer la zizanie au sein de la classe ouvrière, monter les grévistes contre les non-grévistes et surtout, dans ce cas précis installer partout dans l'usine, des cadres en gilet jaune ou orange venus monter la garde auprès des machines pour éviter toute casse, tout débordement. Dans un face à face poignant avec l'un d'eux, Jean-Pierre Mercier, délégué syndical CGT, exprime non pas sa haine mais tout son désarroi face à cette situation, situation qui tôt ou tard sera celle de ce camarade en face de lui. Ce non-gréviste ne dit rien, mais ses larmes au bord des yeux, ses lèvres pincées parlent pour lui. Il sait qu'il peut être l'un des leur du jour au lendemain, un salarié licencié sur aucun motif valable. Diviser pour mieux régner, la logique a toujours fait ses preuves. La direction le sait très bien et les leaders syndicaux hélas connaissent par coeur la manoeuvre. La question se pose à chaque réunion, comment amener « les copains » dans le camp de la grève quand les fins de mois sont difficiles pour tout le monde ? L'une des grandes autres réussites de cette épopée tristement classique c'est sa durée (deux heures) pour résumer presque quatre ans de combat pour obtenir une once de dignité. Si le spectateur ne pourra jamais se mettre évidemment à la place du salarié tôt ou tard licencié, il pourra cependant se faire une idée du poids et des séquelles d'une lutte acharnée de cinq ans sur le salarié et son entourage. Les visages changent, les cernes et lassitudes se font ressentir, les avis évoluent notamment sur la question de la radicalisation du mouvement, puis il y a cette image de Mercier qui enlève ses lunettes pour se protéger des CRS, lui qui répétait sans cesse aux siens d'être calmes, lui qui prévenait toujours la police en face que ses troupes sauraient être respectueuses. Lui craque, cela se lit sur son visage rond, comment ne pas craquer sous une telle pression ? Qui ne craquerait pas sous une telle pression, face à un tel abandon ?

 

Car comme des lions est l'histoire d'un double abandon. Des ouvriers sont condamnés à abandonner leur usine parce que le patron l'a décidé. Il n'est pourtant pas en mauvaise posture financière comme le prouveront ces ouvriers à multiples reprises (l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaire historique en 2011 alors que le projet de fermeture de l'usine est déjà lancé). Des ouvriers sont condamnés à se battre seul contre cette décision, abandonné par un gouvernement pourtant à l'origine dans son camp. Cette histoire c'est le premier coup de canif dans un contrat passé un soir de 6 mai 2012. C'est la gauche qui abandonne son peuple au profit de son nouvel ami la finance. L'histoire avait pourtant bien commencé. Lors du débat d'entre les deux tours de l'élection présidentielle, un groupe d'ouvriers s'étaient rendus à la Plaine Saint-Denis pour rencontrer un François Hollande tout sourire, en campagne donc. Dans la salle à cet instant précis, le spectateur peste ou laisse échapper une larme. Une larme pourquoi ? L'histoire ne semble qu'une redite, une énième trahison, un Zola moderne. Attention, revoilà la comparaison insolente et insupportable et pourtant on en est au même point, le progrès industriel en plus et la pénibilité du travail en moins certainement. Mais toujours cette même rengaine de dominants et de dominés. Les dominés n'ont pas gagné la manche une fois de plus, mais ils ont joué le match avec pugnacité, avec une intelligence collective. Ils se sont rassemblés sous une cause commune, comme d'autres l'ont fait par le passé pour l'avenir, pour sauvegarder leurs droits et en gagner parfois des nouveaux, pour eux et pour les autres.. Ils ont donné l'exemple, ont respecté l'histoire de ce mouvement en voie d'extinction. Comme des lions donne à voir ce que serait un monde sans la lutte, sans la colère saine, sans le collectif, sans ce monde ouvrier, chacun irait crever dans son coin dans une société encore plus individualiste, chacun perdrait ses acquis si aucun ne levait le petit doigt et élevait la voix, et les dominés resteraient à la place qui leur agentiment été fixée par les dominants depuis des siècles. Certains pensent ce discours mort, dépassé, inutile mais cette immersion dans l'aventure PSA prouve que la lutte des classes est, hélas, toujours d'actualité. Plus que jamais. Et pour tous dans un monde incertain où il est si facile de dégringoler dans l'autre classe. Un journaliste de Libé a écrit au sujet de ce film : « On peut donc penser que si tout le monde voyait ce film, et s’en parlait, tout l’avenir pourrait être changé ». Alors je vous en parle et j'espère que vous ferez pareil autour de vous.

Tag(s) : #Cinéma, #documentaire, #psa aulnay, #grève, #Politique, #syndicat
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