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Sur les écrans cette semaine, un classique d'une vague cousine de la Nouvelle Vague. Cinquante deux ans plus tard, Agnès Varda propose au public une version restaurée de son second film: Cléo de 5 à 7. Le temps de deux courtes heures, le spectateur suit les déambulations de Cléo (Corinne Marchand). Sur le bitume parisien, la belle attend le verdict du médecin. La mort rode dans sa tête et pourtant c'est la vie qui éclate à chaque plan de ce Paris des années 60, où plane guerre d'algérie et émancipation de la femme. Classique à redécouvrir pour l'inventivité de sa forme et la modernité de son sujet, voici 5 raisons de revoir cette Cléo.

 

Pour son titre faussement coquin

 

Le 5 à 7 n'est qu'une illusion. Agnès Varda détourne l'expression phare du libertinage amoureux. Cléo ne se donne aucunement à un homme de 5 à 7. Bien au contraire, elle les fuit... jusqu'à la dernière séquence. De 5 à 7, Cléo (Corinne Marchand) déambule dans le Paris de Varda, découvre les cafés, les rues et les visages d'une capitale populaire. De 5 à 7, Cléo est plongée dans l'attente de ces résultats médicaux. Épée de Damoclès annoncée par le médecin et la cartomancienne dans une première scène en couleurs. Pendant que certains s'envoient en l'air, Cléo compte les minutes qui la séparent de la maladie : le cancer. Comble de la tragédie, nous sommes le 21 juin. Dans quelques heures, l'été se pointe et l'on bascule dans le signe du Cancer. Cléo n'apprécie guère cette blague du soldat en permission qu'elle rencontrera dans la dernière demi-heure.

5 à 7 raisons de revoir Cléo

Pour sa référence à la Guerre d'Algérie

 

Sortie sur les écrans en pleine Guerre d'Algérie, Cléo de 5 à 7 fait directement écho à cette guerre dont on doit absolument taire le nom en 1962. La Nouvelle Vague s'y refusera en multipliant les échos de cette guerre bien française notamment chez Godard (Le Petit Soldat, Pierrot Le Fou) et Demy (Les Parapluies de Cherbourg). Dans Cléo de 5 à 7, la Guerre d'Algérie s'incruste dans le récit par la radio du taxi annonçant le nombre de morts puis dans la dernière séquence où Cléo au Parc Montsouris rencontre un soldat en permission (Antoine Bourseiller). Si Cléo craint la mort par la maladie, Antoine lui déclare que lui « c'est mourir pour rien » qui le désole. Varda oppose deux visions de la mort : Cléo joue la tragédie, Antoine l'idéalisme. Ensemble, ils vont apprendre à apprivoiser la mort.

Pour la chanson de Cléo

 

Dans le clan Demy-Varda, Michel Legrand joue un rôle majeur. Le compositeur phare des Demoiselles de Rochefort écrit ici une chanson d'amour pour Cléo, chanteuse qui se rêve en Piaf mais qui n'est qu'une yéyé,  poupée de son capricieuse et angoissée. L'interprétation de cette chanson par Corinne Marchand est l'un des moments forts du film, où Legrand dans son propre rôle s'efface au profit de la chanteuse, dans un plan des plus sombres, face caméra, isolée du reste des protagonistes, seule face à son destin, face à la mort.

Pour Godard et Karina

 

Séquence surprise. Le spectateur est prévenu. Avant que le film débute, un message lui indique qu'une surprise l'attend, avec entre autres Jean-Luc Godard, Anna Karina, Jean-Claude Brialy, Samy Frey... Comme il est coutume chez les cinéastes des Cahiers – dont Agnès Varda est très proche à l'époque – on tourne les uns avec les autres, on fait des apparitions dans les films des autres, on s'entraide entre passionnés. Dans Cléo de 5 à 7, Cléo accompagne une amie voir un copain projectionniste. Il est entrain de projeter Les Fiancés du Pont MacDonald. Les fiancés c'est Godard et Karina. Couple phare de la Nouvelle Vague qui s'invite sur la pellicule dans ce film burlesque où Anna Karina joue les jolies poupées et Godard les amoureux maladroits. Une séquence qui vaut de l'or puisque Godard y enlève ses fameuses lunettes. Agnès Varda écrira sur ce court-métrage : « Le couple Godard-Karina étaient  attendrissant. Enfants terribles et amants, heureux amants. Leurs amours étaient juvéniles, violentes et inventives. »

Pour Paris

 

Si Agnès Varda avait établi son premier film (La Pointe Courte) du côté de Sète – village de son adolescence – son second film se déroule à Paris. Le Paris si cher à la Nouvelle Vague où Jean-Pierre Léaud multipliait les 400 coups, où Jeanne Moreau déambulait dans l'attente du retour de son amant dans Ascenceur pour l'échaffaud . Dans Cléo de 5 à 7 c'est Corinne Marchand qui déambule dans le tout Paris, des boutiques chics aux cafés, en passant par un atelier d'artiste ou un parc, pour finir à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Dans cette balade, Agnès Varda fixe l'évolution de son personnage. Si la jeune femme est jugée capricieuse et idiote par son entourage, la balade, la rencontre avec Antoine, l'attente vont peu à peu gommer ses défauts. Elle quitte les taxis pour les promenades en solitaire à pieds. Elle quitte ses lunettes de soleil pour observer les gens. Au fil de son attente, Cléo prend du temps pour elle et pour les autres à travers ce Paris vivifiant.

Pour Varda

 

Parce que cette fille-là elle est terrible. Parce qu'elle est devenue une chouette dame dont on ne se lasse jamais de revoir la silhouette sur un plateau de cinéma. Varda, longtemps appelée « la grand-mère de la Nouvelle Vague » est surtout à cette époque-là une cousine éloignée qui a la chance de traîner avec les types des Cahiers... après avoir traîner avec Vilar au TNP en tant que photographe. Dans cet univers exclusivement masculins, elle apprend son métier de cinéaste. Quand ses copains des Cahiers filment des garçons désireux de s'extirper des normes et confient les seconds rôles aux filles, Agnès Varda, comme son compagnon Jacques Demy, place la femme au centre de son film...

Pour un premier rôle féminin

 

Dans Cléo de 5 à 7, les hommes deviennent des seconds rôles. Pire dans Cléo de 5 à 7, Cléo – diminutif du surnom Cléopâtre, femme à hommes – l'héroïne s'échappe de l'emprise des hommes. Certes dans une dernière séquence, Cléo rencontrera l'amour en la personne d'Antoine. Mais cinquante ans plus tard, ce qui marque de nouveau c'est la subtilité de la cinéaste à dépouiller la femme du regard de l'homme, de son enveloppe, du fantasme qu'elle incarne. Avec Varda, la femme devient sujet de cinéma et non plus objet de fantasme. Dans un élan de colère, Cléo quitte tenue excentrique et perruque blonde platine. La femme capricieuse et égocentrique de la première demi-heure devient au fil de sa déambulation, sorte de parcours initiatique dans la ville, une personne sensible aux autres, à leurs visions de la vie. Elle devient ce qu'elle dit être un peu plus tôt aux hommes qui la fantasment : « Il y a 1000 femmes en moi ». Beaucoup plus qu'un fantasme de cinéma, Cléo est une femme de 1962 en quête de sa liberté.

Tag(s) : #Cinéma, #Cléo de 5 à 7, #Agnès Varda, #Nouvelle Vague, #Jacques Demy, #Jean-Luc Godard, #Anna Karina
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