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La loose chez les frères Coen est une affaire de famille et de cinéma. Dans une Amérique qui a le culte de la gagne, Joel et Ethan filment les perdants. Un credo particulier sur lequel ils se débrouillent pas mal. Le dernier loser en date – celui d'une longue série – ils l'ont trouvé du côté de Greenwich Village. Village mythique pour tout artiste ayant choisi la folk comme destin au début des sixties. La folk cette petite musique indémodable. « Elle n'est pas toute jeune, mais elle n'a pas pris une ride » balance à son public restreint Llewyn Davis (Oscar Isaac) après avoir suspendu les cœurs avec Hang Me, Oh Hang me. Ritournelle assassine comme la folk en a tant produit à cette époque-là. Ritournelle signée Dave Van Ronk, artiste de la scène folk ayant largerment inspiré le film.

Inside Llewyn Davis est à l'image de sa première scène : un instant où tout est suspendu, enlevé au temps et à la vie. Ni triste, ni joyeux. Ni noir, ni blanc. Un film gris comme New York l'hiver. Un film où la galère est continue et la débrouille est la règle de conduite. Un film loin de l'image tonitruante de ces années 60 et de cette Amérique en Technicolor. Le gris va bien à notre anti-héros. Llewyn Davis traverse ce paysage tout en neutralité sans éprouver de très grandes émotions. Les pleurs ou les éclats de rire sont étrangers à sa personnalité. Personnage quelconque au ressenti unique. Dans ce paysage ouateux, confortable à l’œil, tous ses compagnons le regardent avec mépris. A commencer par celle qu'il a mis enceinte Jean (une parfaite et odieuse Carey Mulligan). Au loser squatteur de canapé, elle préférera Jim (Justin Timberlake, drôle en chanteur de folk propret et prêt à rentrer dans le moule du système). Puis il y a tous les autres. Tous présents pour pointer la médiocrité accablante de Llewyn, à persister dans son American Dream qui a pour nom la folk music. Le loser n'a pas de grand cœur. Il joue aussi bien de la folk que de la lâcheté. Paria solitaire, il est toujours d'accord pour profiter des autres mais donne rarement en retour. Alors qu'est-ce qui peut bien nous le rendre si attachant ?

 

La comédie dans la tragédie humaine, marque de fabrique des frangins Coen. Eux seuls ont le secret de cette sensation unique, ce sourire provoqué devant un être qui collectionne non pas les emmerdes – ça serait trop facile – simplement les petits et grands échecs. Échecs que chacun de ces personnages d'une absurdité sans nom que Llewyn Davis croise lui projette. S' ils ont du mérpis pour lui, lui a ce beau regard interloqué qui leur dit « je ne finirai pas comme vous ». Car dans la lâcheté de Llewyn Davis, l'intégrité est perceptible. L'intégrité d'une petite musique qu'il refuse de corrompre. Noyer et trahir dans ces trios ou duos folk formatés pour vendre des disques. Quand il arrive au bout de son aventure, à Chicago, pour présenter son disque à un producteur. Quand celui-ci lui dit qu'il serait pas mal dans un groupe monté à la va-vite, une fois la barbe et les cheveux rasés. Un groupe pour vendre de la musique. Il y a ce regard vide, ni lasse, ni triste, ni coléreux. Mais magnifiquement et simplement résigné. L'époque ne veut pas de lui. Les frères Coen la dénonce. Elle et son industrie du disque versatile. Si Llewyn Davis s'était pointé avec un harmonica, une guitare et une voix nasillarde, il aurait peut-être pu séduire les foules...comme le laisse présager la dernière scène, où à l'arrière plan de notre héros hors de scène il y a un Dylan débutant sur la scène d'un modeste bar. Le destin n'est pas au rendez-vous pour tous... Douce insurrection contre ce monde qui oblige l'individu à s’aliéner à un système, subtil hommage à la folk music qui traversera toutes les décennies, Inside Llewyn Davis est comme une folk song. Ni triste, ni gai mais simplement confortable à l'âme. Et c'est déjà beaucoup...

 

Folk et lose chez les frères Coen

Bande-annonce Inside Llewyn Davis

Tag(s) : #Cinéma, #frères Coen, #Inside Llewyn Davis, #Oscar Isaac, #Carey Mulligan, #Justin Timberlake, #Bob Dylan
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