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Il y a deux ans, une une des Cahiers du Cinéma reprochait au cinéma français son vide politique attaquant au passage un certain nombre de films alors en lice au Festival de Cannes. Cet été, Une Vie Violente de Thierry de Perreti - présenté à la Semaine de la Critique à Cannes en mai dernier - vient combler ce soi-disant vide d’une énergie revigorante. Bien qu’elle avait un goût mortifère, la bande-annonce annonçait de l’inédit, par son sujet, par son énergie, un objet filmique où la parole se libérait, enfin. Le risque pris était simple : soit à trop causer l’histoire nous laisserait au bord du sentier, soit captivé par son débit nettement au-dessus de la moyenne, on se laisserait happer par tous les sentiers complexes de ce territoire un peu flou pour l’immense majorité des français : la Corse.

- « Qu’est ce que tu es prêt à faire pour ta terre ? » 
- « Mourir »

L’échange a lieu entre un cadre indépendantiste d’Armata Corsa et un jeune. Des comme lui, il y en a pas mal aux mètre carré dans la fresque politique aux apparats tragiques de l’Ajacien Thierry de Perreti. Pour cette fresque virtuose, le cinéaste s’est inspiré de la trop courte vie d’un jeune militant nationaliste, Nicolas Montigny, descendu dans un cybercafé de Bastia au début des années 2000. Onze impacts rien que ça, mort au combat pourrait-on ajouter. Son combat est celui d’un paquet d’hommes depuis que l’île est passée aux mains des ennemis, l’Etat, la Mafia, un peu des deux. Ce gamin de 27 ans a marqué le cinéaste pour son air à contre-courant pour le lieu et l’époque : lunettes et petite barbe d’intello révolutionnaire à tendance marxiste. Il fera de ce gamin étranger à la cause indépendantiste - jusqu’à un séjour en prison-  le héros de sa tragédie. Et nous, étranger à la cause tout comme lui aux prémisses de l’histoire, un témoin captivé par cet attachement viscéral à la terre, bien avant que les dérives mafieuses viennent salir le tableau. Captivé par les maux de la cause et le poids des mots dans la bouche de ce jeune militant qui sans cesse remet la parole politique au coeur de l'action. 
 

Avec armes et violence

Ca commence comme chez un bon Marty Scorsese. Un assassinat en bonne et due forme. Avec témoins et bande-son classiques (The Brian Jonestown Massacre dans ce cas précis) le tout en plan séquence, forme chère au réalisateur. Dès le départ, la scène dit tout de l’impunité qui règne sur ce territoire à la douceur de vivre apparente. Devant des ouvriers agricoles marocains, à quelques mètres d’eux qui travaillent la très chère terre des indépendantistes, « une vie violente » s’exprime en pleine journée devant témoins : deux hommes sont abattus froidement avant que le feu soit mis à leur voiture. Un corps calciné tombe de la voiture, encore en vie ? Certainement pas, il sera achevé par quelques balles supplémentaires. Le corps gisant au sol, il s’agit de celui d’un ami de Stéphane, le fameux héros, interprété par un débutant au naturel désarmant Jean Michel Michelangeli. Ce dernier a été envoyé à Paris pour ses études afin de lui éviter le même  triste sort que sa bande de camarades : la vengeance par la mort. Mais ça, ce n’est que les flash-back à venir qui vont nous dessiner cette autre histoire d’une Corse, à la fin des années 90, minée par les dérives mafieuses, les règlements de comptes et les guerres fratricides au sein des mouvements indépendantistes.

Suite à cet assassinat, Stéphane décide de retourner en Corse pour assister à l'enterrement de son ami d'enfance et compagnon de lutte. C’est l’occasion pour lui de se rappeler les évènements qui l’ont vu passer, petit bourgeois cultivé de Bastia, de la délinquance au radicalisme politique et du radicalisme politique à la clandestinité. Pour Perreti c’est l’occasion de basculer le récit en flash-back et de replacer la parole au centre du jeu, au même titre que l’action. Dieu qu’on parle ici, car il faut bien avoir recours à ce flot de mots pour se laisser capter, conquérir, mourir pour la cause. La cause soudainement - car jamais cela ne m’avait frôlé l’esprit - est la même que partout sur la frise chronologique de l’Histoire de France : un vol de terre, une humiliation, qu’on tente coûte que coûte de laver, de faire payer. 

Après avoir transporté sans grande conviction une valise pleine d’armes pour le compte des indépendantistes, Stéphane écope de deux ans de prison. Le début des emmerdes ou de la vie avec idéal. Sa maigre cellule est pleine à craquer de livres. La prison est montrée sous un jour quasi nouveau : une initiation au militantisme, une éducation à la politique entre les quatre murs de la bibliothèque sous les barreaux, que le réalisateur prend le temps de filmer, sans idéalisme, avec un naturalisme à toutes épreuves. Là-bas, le jeune homme rencontre un des leaders des mouvements indépendantistes. Sorte de père spirituel qui va le faire lire, l’éduquer à la cause, l’amener à se battre pour son île, à donner sa vie pour son peuple, l’embrigader pour des intérêts bien ciblés. De Perreti filme large, il filme les hommes en action, en train de parler, de se laisser le temps de se convaincre ou de s’opposer. Même si parfois le discours échappe au néophytes que nous sommes, on le ressent, on reste suspendus à ses lèvres. Qui prend ce temps au cinéma aujourd’hui de poser les causes et les conséquences ?

Avec armes et violence

Dans une cour de prison, au coeur du maquis, des bars crades, des boîtes minables, la vie violente s’exprime avec une virtuosité dénuée de tout idéalisme ou de toute critique directe car le héros n’est ni fou, ni aveugle. L’époque ne se dit pas, elle se donne à voir. Stéphane écoute "Les Flammes du Mal" de Passi, ne sort jamais sans son sac banane, son t-shirt Nike. Les JT chopés ici et là racontent la Corse en feu, les attentats, les groupes armés cagoulés. Entre images d’archives et paroles bien à lui, entre paroles puristes et vulgarités comme dans un bon film de mafieux, Perreti filme ces gamins qui assassinent sans problème leur prochain et gerbe leur tripe l’instant suivant, intimident les patrons qui bossent pour l’ennemi et font preuve de mauvais goût comme d’autres caïds empruntés à l’imaginaire cinématographique. Sans morale mais avec armes et violence, il raconte une époque et sa chute qui regarde les hommes tomber - les gamins car les chefs peu importent la cause s'en sortent toujours mieux - le tout avec les ingrédients les plus efficaces qui soient. La fin de ces années 90 et plus largement des idéaux fait sens, elle nous parle comme dans cette séquence où à un dîner de famille, le jeune adulte Stéphane prend la défense d’un jeune rocker connu pour se défoncer et pour respecter la pureté de sa musique dans une décennie cherchant sans cesse à la salir. Kurt Cobain est interviewé au JT. La parole, l’action, l’époque sont là palpables comme jamais, même quand on a que de vagues souvenirs télévisés de ce temps d’un autre calibre. Ces archives télévisées, cette culture populaire, ces look, cette bande-originale excellente entre rap et électro, cet ensemble rend ce film infiniment vivant, supérieur à la moyenne. Et puis au travers de ces scènes de bande, où le collectif tente de mettre à terre l’individualisme, il y a des émergences, que dis-je des fulgurances, d’un grand film de mafieux à la Scorsese ou à la Coppola, quelque chose d’aussi séduisant que ridicule comme dans Les Affranchis. Le même sens du collectif, de la fidélité, du respect dans les mêmes lieux qui arrache aux spectateurs autant de la peur autant que des rires. Ici aussi, les mafieux friment mais se pissent dessus l’instant suivant -  scène aussi pathétique que tragique d’un gamin qui se sait condamner et chiale dans une cabine téléphonique avec au bout du fil son ami parisien. Le danger pèse comme jamais dans ce maquis et ces ruelles aux airs d’Italie, mais les rires et les vannes entre potes ne sont jamais loin, et l’idéalisme non plus. Car Stéphane est là, héros romantique, étranger à la cause devenu acteur et victime à la fois, qui maintient coûte que coûte cette volonté aussi noble que ridicule, mourir pour sa terre. Ni réquisitoire, ni plaidoyer, le cul entre deux chaises, enivrée de paroles et d’actes, Une Vie Violente prend acte de montrer ce maquis comme jamais. Hanté par ses morts, vivant par sa parole incandescente de ce torrent de mots que débitent Stéphane dans un plan séquence final, magistral et fatal sous le soleil de Bastia, il longe des murs sans fin. La fin étant connue de lui-même et de nous. Le génie est là ne pas le montrer. Faire survivre la parole. Alors qu'au coin de la rue, il tombera comme les autres. 
 

Tag(s) : #Cinéma, #Une Vie Violente, #Festival de Cannes, #Thierry de Perreti, #Corse
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