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Une petite fille âgée de 10 ans pas plus, sourire timide aux lèvres, tient un fusil en main, comme une vraie guérilleros. Elle pose - semble t-il fièrement -avec son arme non loin d’une porte d’un rouge vif à sa gauche. Le titre indique « Fille de révolutionnaires ». On ajouterait « pas n’importe lesquels ». Son père est l’un des seul - connu au bataillon de l’époque -  qui alla se battre aux côtés de Fidel et du Che. Pendant que la grande majorité faisait la révolution attablée au Flore à Saint-Germain des Prés. De ce duel au soleil avec l’ennemi Yankee, la gamine leur en veut, mais l’adulte qu’elle sera ne manquera pas de préciser que les autres n’y sont pas allés, eux, ces demi-lâches. De ce que certains nommeraient courage et que d’autres - la petite fille compris - nommerait fuite ou folie, l’adulte a tiré un récit tendre et amer. Du genre de ceux qui n’intéressent que deux publics que tout oppose, mis à part peut-être la nostalgie d’une époque où l’idéal était de rigueur : les mélancoliques d’une extrême gauche disparue et les détracteurs de cette même gauche. Allez savoir pourquoi, ce récit, selon ses passages, flattera les deux camps. 

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents révolutionnaires. Ou pas.

« Pourquoi m’avoir exclue de leur histoire ? Voulaient-ils m’épargner le rôle asservissant de gardienne du temple ? Ou était-ce parce que je ne me montrais pas à la hauteur de la légende ? La culpabilité du rescapé les empêchait-elle de se confier ? D’un commun accord, ils ne tenaient pas à me relier à leur passé. J’aime à croire qu’ils voulaient m’en protéger. » Laurence Debray, fille de Régis Debray et d’Élizabeth Burgos - dont l’aventure commune a toujours gardé sa part de mystère, - n’a jamais eu les réponses à ses questions. Ado, elle apprend par un quidam que « son père a dénoncé le Che ». L’histoire ne l’a jamais prouvée, bien au contraire. C’est donc lui, le fumeur de Havane au large sourire - être assoiffé d’égalité pour les uns, de sang pour les autres - qui lui a gâché son enfance, volé un père théoricien de la guérilla marxiste-léniniste et une mère historienne vénézuélienne. En ouvrant l’album familial aux souvenirs manquants, elle apprendra qu’il n’y a pas que le héros de la révolution cubaine qui a commis ce vol. Fidel Castro, les geôles boliviennes, la France de l’après 68, les années Mitterrand et tant d’autres encore seront complices de la captivité de ces parents pour la (bonne) cause. Ici pourtant point de sentence lapidaire à la Gide, point d’incisif « Famille, je vous hais », sa plume vacille entre la caresse tendre et la claque vengeresse. Après tout cette gamine de quarante et quelques années aujourd’hui occupe une petite place dans le journal tenu par le Che en Bolivie, entre « Danton » - le nom de code de guérillero de son père - et Sartre que le Che voulait contacter en vue de collecter de l’argent en Europe pour la cause. Elle est là, elle en a la preuve, en arrière plan certes de la grande histoire, mais bel et bien le fruit d’un désir, d’une volonté « bien qu’un peu bourgeoise » de ses parents acquis à la cause communiste.

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, elle si. Elle n’appellera pas cette généalogie chance, ni profonde malchance d’ailleurs - heureusement sa grand-mère paternelle, une femme dépeinte comme formidable bourgeoise Gaulliste, érudite et généreuse, l’a sauvera amplement de ses illustres parents. Au fil de son récit, de ses souvenirs mêlés à ceux de grands pontes de l’histoire, Laurence Debray égratigne le lyrisme politique de ses  géniteurs  et de tous ceux qui à l’époque furent préoccupés par l’avénement d’un monde meilleur. Ces généreux que sa plume d’adulte trempée dans ses souvenirs d’enfance dépeints comme de grands égoïstes.

Une génération qui n’avait pas fait la guerre et qui rejetait l’idéal de la voiture et du frigidaire, et qui en se raccrochant au projet révolutionnaire donnait un sens à sa vie. Ils n’avaient pas à affronter le chômage, la détresse des banlieues, la course au point de retraite, et la misère des fins de mois. Leurs drames étaient une société sclérosée, l’avortement de leur compagne et l’incrédulité de leurs parents. Le lyrisme politique du marxisme, et toutes ses variantes, les faisait vibrer. 

Vibrer, enfant, elle s’en moque. Elle désire ni plus ni moins la même chose que ses camarades de classe : des parents normaux et une enfance heureuse alors que les Trente Glorieuses touchent à leur fin. Autant dire impossible avec un père pareil « égoïste, désinvolte, ingénu » grosso modo inadapté à la vie que lui réservait son milieu social. « Avec mes parents rien étaient légers et gai. Leur ton était sérieux, les enjeux cruciaux ». Lire cette adulte qui relate sa vie d’enfant parfois capricieuse c’est avoir envie de lui filer deux claques et puis l’instant suivant se radoucir à l’idée que ce n’était justement qu’une enfant. C’est là toute la tragédie du récit (de la vie ?) on a terriblement envie de choisir un camp. Celui de la pauvre petite fille ou de ces parents dont le noble moteur - noble selon son camp - était d’« avoir la paix pour lire et écrire ». Mais la célèbre phrase de Renoir semble triompher de cette envie. « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons », et c’est d’autant plus terrible de s’y faire. 

Dans la seconde partie de son livre, une fois la jeunesse - passionnante - de ses parents retracée, Laurence Debray gamine, adolescente, adulte entre en jeu. L’époque est alors de moins en moins encline aux idées communistes, elle encore plus. Elle sera à l’image du siècle précédent celui qui consacra les idéologies politiques de tout bord : allergique aux idéologies, pire  même : dégoûtée, vaccinée à jamais contre les désirs de voir advenir les grands soirs et les lendemains qui chantent. Même pas un brin mélancolique de ce monde qui devrait être à nous, et que son père, sa mère et les autres ont définitivement perdu quelque part entre les années 70 ou 80.

J’ai grandi dans un monde binaire, où le gris n’avait pas de place et où les tièdes étaient dénigrés. J’avais compris qu’un fossé infranchissable séparait deux camps : on ne fréquentait pas les gens qui lisaient Le Figaro, allaient à Deauville, et s’ils vivaient rive droite ils étaient très suspects 

Par vengeance ou logique - encore une histoire de bord -, elle sera une tiède convaincue, nécessaire. Famille stable, existence sage, rangée et organisée, loin du pouvoir et de l’intelligentsia à l'inverse de son père perdu devant son amour éperdu pour François Mitterrand - ce président a qui elle en voulait tant enfant de lui avoir volé son père et qu'elle pleurera sincèrement adolescente. Ce récit d'une vie se lit comme le récit d'une époque bénit par les dieux de la mélancolie, la première partie nous fait parcourir un monde de camaraderie, d'enthousiasme et de passions - bien que le danger est foncièrement de toutes les pages, dans les geôles boliviennes comme dans La Havane d'un Fidel, fidèle à sa réputation de prince charmeur et manipulateur. La seconde partie retraçant les plaintes certainement justifiées d'une enfant mal-aimée raconte la fin d'un monde et les retournements de veste aussi de ceux qui l'ont fait. En critiquant à juste titre les dérives de la pensée et de la société communiste, Laurence Debray évoque en filigrane ce que l'enfant de militants communistes a toujours entendu sur cette doctrine humaine sur le papier, sanguinaire dans les faits. A 10 ans son père désire qu'elle choisisse son camp. Elle passera un mois à Cuba, un mois à Santa Monica. A Cuba, le soir au camp d'entrainement on brûle des portraits de Donald Reagan et on écoute de la musique cubaine, sous des couchers de soleil captivants. A Santa Monica, on ne la bassina pas avec le sort des plus démunis et la faim dans le monde, sa seule obligation sera de s'amuser joyeusement avec des gens de son âge. L'enfance quoi. "Il ne m'en reste que des souvenirs lisses et un arrière goût de solitude. Pas de projets communs, pas d'embrigadement, pas de solidarité". De retour de ces deux voyages, elle optera pour la vieille Europe, assez modérée et confortable. Le genre de sentiments avec lesquels on ne fait pas grand chose dans la vie.

 

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Tag(s) : #Littérature, #Laurence Debray, #Stock, #Régis Debray, #Che Guevara, #Politique
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