Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Cette histoire là avait presque 10 ans. Elle avait débuté au printemps à la FNAC de Nantes. Pour d'autres, elle était un peu plus vieille ou plus récente, démarrée par une rencontre sur les ondes, dans les bacs ou à la télévision. Peu importe l'endroit, la date, l'effet avait été le même. C'était une histoire  commune qui avait la singularité d'avoir duré... quand les amours d'alors, réels, palpables, passionnés et prétentieusement passionnants s'étaient, eux, volatilisés avec accord ou à contre-coeur. Cette histoire-là je la raconte comme d'autres sous la plume de Jérémy Attali. Il est l'auteur de "Benjamin Biolay, Paroles de Fans" aux éditions Camion Blanc, une belle et récente collection d'ouvrages qui donne la parole aux « fans » d'artistes très variés.  Sentiment bizarre que de lire son portrait et ses bribes de tentatives d'explication d'un amour pour l'artiste imprimé sur du papier blanc. Sensation étrange que de réaliser que cette fidélité, addiction, réconfort - je ne sais trop comment nommer l'affaire - pour l'artiste depuis "Trash Yéyé" est finalement partagé avec d'autres, et ce de façon toute aussi puissante. Moi, groupie dans l'âme qui déteste le mot fan, jugeant ces petits êtres bêtes et souvent « aveugles », me voilà coincée avec eux – ceux que Jérémy a sélectionné pour ce portrait à plusieurs voix – moi, obligée de réaliser comme souvent dans la vie, la prétention de mon jugement pressé donc naturellement faussé et la non singularité de ma petite personne. "Qu'est ce qui t'a pris d'afficher tant de mépris ?"
 

Paroles de groupies (im)pudiques

"Radasse, connasse, pétasse qui ne montre rien en surface". Depuis 2008,  Biolay m'avait mis cette phrase en tête, et tellement d'autres avec. Paroles crues, pures, lascives, lumineuses, sales, profondes, faciles, des bavardages trash et yéyé composant l'une des meilleures bandes originales de ma vie. Ce bouquin m'a fait comprendre que ce disque d'une vie je le partageais avec d'autres. "Contagieux, douloureux et délicieux".  Jérémy comme moi, comme les autres, avons dû nous justifier de la soi-disante incongruité de cette attirance pour ce type qui a percé en même temps qu'une certaine nouvelle chanson française à l'aube des années 2000, mais qui n'en était que le plus beau spécimen, la crème de la crème, la sans date de peremption. A maintes reprises auprès de proches ou d'inconnus qui deviendraient des proches nous avons dû expliquer en quoi il était légitime de faire entrer le garçon dans la catégorie "grande chanson française", à côté des Gainsbourg et Bashung. Ce livre est une forme de réponse à cette question qu'on nous a tant posé, une vengeance superbe quand on a un caractère hargneux : un beau majeur en l'air. Un majeur poétique, mélancolique, sensible à souhait mais profondément satisfait de son état. 


Dans ce livre, nous disons tous à peu près la même chose de l'homme aux huit albums – sans compter le nombre de collaborations qui même moyennes possèdent un goût de génie. Nos émotions, réactions, dissertations se croisent, se ressemblent, s'assemblent et pourtant la plume de Jeremy a su les rendre chacune unique, jamais tout à fait les mêmes. Pour les relier entre elles, il a fait le choix d'écrire à celle ou celui à qui chacun aimerait écrire un jour un texte - voire un bouquin pour les plus brillants d'entre eux -, un premier amour avec qui ont a vécu le genre de choses de la vie que Biolay décrit, le genre de « choses en sueur, avec le rose aux joues et des bleus partout à la fin  ». Son récit prend l'allure d'une nouvelle consacrée à un amour perdu. Sans nouvelle d'elle, il brode nos histoires sur la sienne, nos affections pour Biolay sur son affection. Sa plume est imbibée de trop d'elle et de trop de consommation des autres elles. D'alcool et de clopes aussi. « Un trésor qui respire l'odeur du souvenir  ». Les souvenirs d'elles sont des passages parfois difficiles à lire, des passages sur lesquels quelqu'un semble vous appuyer la tête sous l'eau, vous replongeant dans vos propres souvenirs, ceux-ci semblant pourtant être à des années lumières de vous, prisonniers d'un temps qui heureusement passe. « De beaux souvenirs qu'on conserve sous vide pour combler tous les vides  ». A chaque fin de chapitre, j'avais envie de réécouter Biolay ou de dire à l'auteur « ça va aller mon grand, on se remet de tout, même de ça, de cette connerie qu'on appelle grand amour, crois moi. Ceux qui viendront ensuite seront tout aussi grands et éreintants en vrai. »

Douloureux dedans, délicieux pourtant. Si tu aimes Biolay tu trouveras ce bouquin délicieux fatalement. Si tu ne l'aimes pas, tu passeras ton chemin. C'est Laurence, une fan parmi d'autres, qui le dit si bien « On adhère ou on n'adhère pas. Il n'y a pas d'entre deux ». C'est catégorique, mais juste. Pour aimer Biolay, pour user et abuser de ses albums, le voir en concert, l'aimer au cinéma et à peu près partout où il passe, il faut être et surtout accepter d'être comme lui, « légèrement déséquilibré » dans des temps modernes où il est gênant d'être totalement à l'aise. C'est Jérémy qui explique mieux que moi cette pensée à la fin du livre. C'est d'une justesse infinie. Biolay est l'auteur de « à l'origine on n'était pas des minables », l'auteur de la mélancolie, ce truc pas très en vogue dans la société actuelle, ou celle de tout temps d'ailleurs. Et chaque fan jouant les témoins d'une œuvre, déséquilibrée un peu, est à l'aise avec cette mélancolie qui ne gâche pas la vie, mais la rend plus sensible, plus émotive aux joies comme aux peines. « De la sensibilité, de l'émotivité, un goût pour les belles choses : jamais de névrose ». Dans ce livre à la couverture sombre, façon crooner pratiquant à merveille le talk over, dans les paroles amourachées et attachantes des fans, dans le récit très personnel aussi cru que poétique du jeune auteur, se trame l'histoire d'un amour des plus fidèles. Du genre a avoir des hauts et des bas. A emprunter des montagnes russes. Finissant toujours dans la lumière. C'est ça Biolay, un album de Biolay. Il y a toujours une place pour une chanson profondément optimiste qui surpasse la noirceur qu'on lui imagine collée à l'âme, une chanson comme une lumière aveuglante de beauté. C'est trash, c'est yéyé, c'est la vie. Et un bouquin a enfin le mérite de rétablir cette vérité. Et juste pour ça, il faut dire : merci. 

 

Benjamin Biolay, Paroles de Fans de Jeremy Attali Edition Camion Blanc,

Disponible sur le site de Camion Blanc ou sur la Fnac

Tag(s) : #Littérature, #Musique, #Benjamin Biolay, #Camion Blanc, #Jeremy Attali
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :